Des femmes qui m’inspirent "Subhadra Natarajan"
Dès les premières semaines de mon séjour, j’assimilais des mots nouveaux chargés de concepts inhabituels pour certains. J’apprenais que la femme tamoule idéalisée est celle de l’épouse accomplie ou « pativrata » et dont la tâche essentielle consiste à maintenir l’équilibre et la prospérité du foyer et la félicité dans le mariage. La longévité du mari et la bonne santé de ses enfants reposent également sur sa piété et sa capacité à repousser les forces négatives.
Subhadra N. rencontrée lors d’un voyage à Chennai incarnait selon moi toutes ces notions. C’est ainsi qu’invitée pour les festivités de pongal, je partageais le quotidien de toute la famille pendant trois jours. Chaque matin, assise sur le sol de la cuisine et face à une niche, elle faisait naître de ses doigts habiles des dessins pas tout à fait comme ceux du seuil de l’entrée principale. Il y avait des diagrammes pour chaque jour de la semaine. En bordure de l’alcôve, deux oiseaux stylisés : des perroquets enlacés étroitement sur une même branche et auréolés de feuilles de lotus. Sur leurs têtes, les représentations du soleil et de la lune symboles de chasteté et de longévité du couple, une métaphore destinée à prévenir la séparation et les souffrances. Le couple est à l’image de Shiva et de Parvati. Peut-on imaginer la lune sans le soleil et Shiva sans Parvati ?
Pour éloigner la mort et développer la force intérieure nécessaire pour endurer les fardeaux terrestres, un pictogramme triangulaire que supporte une ligne recourbée s’adresse à « Mrityunjaya », une émanation de Shiva et aux dires de certains une incarnation du dieu singe Hanuman.
Subhadra, trace au pied de la jardinière du basilic sacré les motifs qui symbolisent le jour de la semaine : deux paires de serpents stylisés ainsi qu’une feuille de bétel avec la noix tranchée de l’aréquier.
À gauche de la niche, une paire de pieds stylisée interpelle de par sa sobriété. Elle traduit la dévotion qu’inspire Rama, septième incarnation de Vishnou et divinité tutélaire de la famille. Il est vénéré au travers de la formule « Jaya, Jaya Rama, Sri Rama Jaya Rama » qui s’inscrit mot à mot sur chacune des huit feuilles de lotus dessinées sur le pourtour des pieds. La matinée se poursuit et il est temps de cuire le riz quotidien, l’hommage a fait place aux requêtes et les femmes attentionnées dessinent deux kolam près des fourneaux afin que la déesse bienveillante prodigue l’abondance de nourriture.
Extrait de mon livre : «Voyage dans l’imaginaire Indien, Kôlam, dessins éphémères des femmes tamoules » Editions Geuthner.