Jharkhand, Hazaribagh "Peindre les murs pour le festival de Sohrai" — partie 2

En chemin, Justin et moi discutons des tribus aborigènes ou Adivasi (littéralement adi « originel », et vasi « habiter, résider » en sanskrit) qui peuplent principalement le Jharkhand, le Bihar, l'Orissa, le Chhattisgarh, le Tripura, mais également l’Assam et des États du Nord-Est tels que le Mizoram, Nagaland ou encore l'Arunachal Pradesh. Jusqu’à une époque récente, elles étaient largement ignorées jusqu’à ce que les recensements de population menés par les Britanniques au 19ème siècle révèlent leur existence. Bien qu’animiste, le monde tribal ne constitue pas un groupe homogène. Certaines tribus se sont hindouisées au fil du temps et d’autres se sont christianisées. La notion de catégorie tribale devient le dénominateur commun pour désigner des communautés non-musulmanes, non-hindoues et non-chrétiennes et donc exclues du système des castes. La constitution indienne reconnaît cependant les tribus comme "Scheduled tribes" ou tribus répertoriées. Une dénomination qui deviendra au fil du temps un enjeu majeur de mobilisation pour faire valoir les avantages offerts dans le cadre du programme de discrimination positive et qui inclue également les intouchables.

Badigeon à l'ocre jaune des murs de la maison

Les pluies d’automne se sont dissipées et les femmes mariées, dont les prénoms sont toujours accompagnés du titre Devi en honneur de la Déesse, badigeonnent de nouveau les murs de leur maison pour restaurer les surfaces sur lesquelles elles vont peindre. Le cycle recommence tous les ans mais un peu moins chaque année. Souvent les femmes artistes peignent lorsqu’elles ont fini les tâches ménagères, les soins du bétail et le ramassage du bois pour la préparation des repas.

Préparation du repas chez Parvati Devi

C'est après le déjeuner et juste avant le retour des bêtes au crépuscule que les femmes ornent les murs. Si elles travaillent comme journalières, ce créneau se réduit et c’est à la tombée de la nuit qu’elles vont œuvrer par petites touches.

Badigeon des murs à l'ocre jaune

Nous arrivons au bout de 2 heures de route dans le village d’Oria et je découvre sur les longs murs en pisé des fermes, les peintures stylisées des populations tribales Ghatwal. Des chiens, des chats, des éléphants, des fleurs et des feuilles de l’arbre Pipal ou Figuier des pagodes s’inscrivent seuls ou en miroir dans des cases à la manière d’une bande dessinée. En rouge, blanc et noir, les figures abstraites dessinées d’un trait épais ne racontent pas d’histoires mais irradient une présence douce qui m’attire, retient mon attention et murmure à mes yeux ébahis les croyances de cette communauté.

Peintures murales des Ghatwal, Jharkhand

Les Ghatwal vénèrent Shiva Bhairava ; une forme courroucée du dieu Shiva toujours accompagné d’un chien nommé Shvan. Ils vénèrent également des bosquets ou « Sarna » qu'ils considèrent comme sacrés. On trouve ces bosquets aux alentours des villages pour se remémorer les parcelles de forêt qui furent défrichées pour devenir des terres agricoles.

Peintures murales des Ghatwal, Jharkhand
Peintures murales des Ghatwal, Jharkhand
Badigeon avec de l'oxyde de manganèse, peintures murales des Ghatwal, Jharkhand

Le deuxième village est celui de Bhelwara où habite Parvati Devi, une artiste talentueuse qui appartient à la communauté tribale Kurmi. Les peintures pour le festival de Sohrai diffèrent d'un village à l'autre et d'une communauté à l'autre. À mon grand regret, les fresques dans la maison de Parvati sont presque achevées à l’exception d’un oiseau isolé qui illustre parfaitement la technique de ce type de peintures en couleur.

Parvati Devi, une artiste de la communauté tribale des Kurmi

Les lignes sont tracées en trois exemplaires, les lignes extérieures et intérieures étant respectivement en blanc et en noir, et la ligne centrale en rouge.

Manganèse, kaolin, oxyde de fer et ocre jaune

La palette de base comprend le rouge, le blanc, le noir et le jaune et ces matières premières se trouvent toutes à proximité du village sauf le kaolin blanc qui est extrait de carrières. Aujourd’hui, la plupart des femmes artistes peinent à se procurer ces matières et c’est pourquoi mon guide Justin fournit depuis quelques années, l’oxyde de fer et le kaolin. Le rouge ou lalka-mati provient traditionnellement de gisements d’hématite ou de dépôts isolés dans les champs. Le jaune ou tila-mati est une terre ocre utilisée par les potiers. Tila signife enfant et mati, la terre ; ainsi le jaune est assimilé à la terre jeune tandis que l’oxyde de manganèse de couleur noire symbolise Kali, la déesse mère selon Bulu Imam.

Chez Parvati Devi, un des deux panneaux le long d’un mur intérieur représente Shiva sous la forme de Pashupati ou le « Maître du troupeau » chevauchant un taureau ou cheval que l’on nomme ghoda. Il est une forme ancienne du dieu Shiva à qui on prête des similitudes avec le dieu gaulois Cernunnos que l’on voit parfois entouré d’animaux.

Parvati Devi, une artiste de la communauté tribale des Kurmi
Panneau représentant Shiva sous la forme de Pashupati ou le « Maître du troupeau » sur un taureau, peint par Parvati Devi

L’autre panneau mural s’appelle Kamalban, la « forêt de lotus » en référence à la fleur mythique de l’Inde qui pousse dans les étangs des villages ou des points d’eau dans la forêt.

Kamalban, la « forêt de lotus » peint par Parvati Devi

La première journée s’achève et nous rentrons à la nuit tombante.

État du Jharkhand

Histoire à suivre...


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Jharkhand, Hazaribagh "un patrimoine en péril" — partie 1