Jharkhand, fête agricole de Sohrai, "Peindre des aripan pour accueillir le bétail" — partie 5

Tôt le matin, nous sommes repartis pour Oriya, le premier village que j'avais visité. Aujourd'hui, plusieurs communautés tribales célèbrent Sohrai, la fête des récoltes et du bétail, comme son équivalent au Tamil Nadu, Pongal. Justin, mon guide m’explique que le mot Sohrai, fait référence au fait de rassembler les animaux dans un abri clôturé ou à l'action de fouetter le bétail. Le mot « soh » est utilisé pour conduire le bétail à l'aide d'un bâton court ou pour chasser des oiseaux ou des animaux. Ainsi, le nom même du festival retrace peut-être l'histoire de la domestication des animaux et les débuts de l'agriculture au sein des communautés Adivasi (littéralement habitants originels) de cette région. Nous arrivons au village au moment où les hommes emmènent le cheptel se baigner dans l'étang local. Plus tard dans la matinée, sur le chemin du retour, les animaux retourneront à l'étable en empruntant une partie du chemin décorée par les femmes.

J’ai attendu des années avant de pouvoir observer cette façon unique de peindre sur le sol. Toujours à l’affût de témoignages filmés, j’avais déniché une vidéo amateur tournée dans une région du Bengale appelée Purulia et qui montrait des femmes peignant le sol de manière singulière, ce qui avait éveillé ma curiosité. Trempant toute sa main dans de ce qui semblait être du lait de riz, une femme dessinait, laissant le liquide couler le long de ses cinq doigts tout en formant des figures sur le sol.  J'ai essayé de comprendre le contexte dans lequel elle peignait ainsi, jusqu’à ce que je voie une photo avec un dessin au sol similaire publiée sur le blog de mon guide, Justin Imam. Après discussion, il s’est avéré que les femmes tribales de la région d’Hazaribagh dessinent également pour le festival de Sohrai, qui a lieu juste après Diwali, dans le mois de Kartik (mi-octobre à mi-novembre).

Nettoyer la cour et enduire le sol de bouse de vache

Le rituel de la journée commence par le balayage de la cour et l'application d'un apprêt à base de bouse de vache. La farine de riz liquéfiée est ensuite préparée et utilisée pour dessiner sur le sol. Partout dans les maisons alentour, on peut entendre le martelage cadencé du dekhi (pilon à riz) qui décortique la glume du riz.

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Nettoyer la cour pour dessiner les dessins de sol aripan

La farine de riz ainsi obtenue est mélangée à de l’eau et à un liant végétal extrait d’une large gamme de plantes dont l’okra ou gombo (Abelmoschus esculentus) connu pour sa texture collante due à sa forte teneur en mucilage. Les légumes légèrement écrasés sont plongés dans un seau rempli d'eau. Au bout d'un certain temps, l'eau devient collante, et son degré de viscosité est testé à plusieurs reprises jusqu'à ce que l'experte soit satisfaite du résultat. Après filtrage, la substance collante obtenue est mélangée à la pâte de riz liquéfiée. Pendant le mélange, on vérifie fréquemment la solution en trempant la main et en la soulevant à plusieurs reprises pour tester l'écoulement le long des doigts tendus. Toutefois, le mélange doit être appliqué immédiatement après sa préparation, sous peine de coagulation.

Préparer le lait de riz pour peindre les aripan et tester sa viscosité 

Lorsque la pâte de riz liquide est prête à l’emploi, les femmes tracent un chemin graphique de l’extérieur de la maison jusqu’à l’étable. Si cette dernière se trouve dans la cour intérieure de la maison, alors le tracé traversera la cour jusqu’à l’entrée de l’étable. Le lait de riz est versé dans un plat assez large afin que la main effleure la surface liquide et que ce qui adhère à la paume soit guidé par le pouce le long des quatre doigts, retombant en lignes diffuses. Le dessin linéaire, comparable à une plante grimpante ou rampante se compose d’une ligne droite et de motifs circulaires de part et d’autre de la ligne, se terminant par un motif triangulaire ou rectangulaire.

Peindre les aripan

Bulu Imam qui s’est intéressé aux peintures rupestres du site archéologique d’Isco, non loin de Hazaribagh, a souligné la similitude entre un motif qui orne la paroi et l’esthétique des peintures aripan. Ayant également visité ce site durant mon séjour, j’ai constaté la parenté avec les aripan peints pour le festival de Sohrai. Selon Bulu Imam, les motifs circulaires qui encadrent la ligne centrale seraient des sabots de vache ou de buffles. Cette supposition est corroborée par des images analogues observées ailleurs en Inde et qui trouvent place dans les dessins de sol en l’honneur du bétail.

Puis une fois la peinture achevée, on applique à intervalles réguliers de la poudre de vermillon le long de l’arête centrale du motif. En dernier lieu, les femmes confectionnent des mottes de bouse de vache dans lesquelles elles enfoncent une plante appelée localement Latlatiya, réputée pour s’accrocher aux vêtements, et de l’herbe durva (Cynodon dactylon) utilisée dans les rituels hindous. Les histoires diffèrent quant à la symbolique de ces herbes. Certains disent qu'elles sont destinées à éloigner le mauvais œil, d'autres, qu’elles servent à piéger les richesses.

Insérer une plante appelée localement Latlatiya, réputée pour s’accrocher aux vêtements, et de l’herbe durva utilisée dans les rituels hindous.
Aripan pour accueillir le bétail à l'étable

Enfin, vient le moment où le bétail rentre à l’étable, les hommes lavent les cornes et les oignent d’huile de moutarde et de poudre de vermillon. On imprime sur les robes des vaches, des taureaux ou des buffles, des cercles à l’aide des lampes en argile trempées dans la couleur ou le lait de riz. D’autres apposent sur le corps des bêtes, la paume de la main après l’avoir plongée dans la pâte de riz liquéfiée blanche ou colorée en guise de protection contre le mauvais œil.

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Retour du bétail à l'étable
Marquer le bétail pour éloigner le mauvais oeil

Les femmes font de même pour les linteaux des étables, les socs de charrue, les houes et les tracteurs. Le monde tribal possède également un répertoire vaste et varié de chants sur les activités de la vie quotidienne, les fêtes, la nature etc. Voici un chant de moisson Oraon de Rosalia Tirkey, la mère de Philomina, la compagne de Bulu Imam.

"Pendant douze mois, ô taureaux.  Nous vous avons battus, aujourd'hui nous vous louons. Aujourd'hui nous vous oignons. Hario ! (Exclamation) Sur quelle corne porterez vous la gerbe de riz de la récolte ? Sur quelle corne porterez-vous l'huile et le vermillon ? Venez ! Nous vous donnerons du riz"

Oraon songs and stories by Philomina Tirkey, Bulu Imam, Lambert Academic Publishing, 2015

Marquer les socs des charrues
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Marquer et bénir les instruments agricoles dont les tracteurs

La matinée s'achève par une invitation à partager le repas de fête.

État du Jharkhand

Histoire à suivre…


Articles précédents :

Jharkhand, Hazaribagh "un patrimoine en péril" — partie 1

Jharkhand, Hazaribagh "Peindre les murs pour le festival de Sohrai" — partie 2

Jharkhand, Hazaribagh "Peindre les murs pour le festival de Sohrai" — partie 3

Jharkhand, Hazaribagh "Diwali au centre Sanskriti" — partie 4