Jharkhand, "Quel futur pour les peintures d' Hazaribagh ?" — partie 6

Mon séjour au Centre Sanskriti m'a laissé un sentiment d'amertume, non pas à cause de la qualité des peintures murales que j'ai vues, mais parce qu'elles se font de plus en plus rares dans les villages. En témoignent les nombreuses photographies de la famille Imam prises au cours des vingt dernières années, qui montrent une abondance de maisons peintes et un répertoire varié. Quelles en sont les raisons ? On invoque les années Covid, la migration pour le travail et le déplacement des communautés tribales à cause de l'exploitation minière, le manque de pigments à l’état naturel et le remplacement des maisons de terre par des maisons en briques ou en ciment, sur lesquelles il s’avère impossible de peindre. J’ai également remarqué que peu de jeunes filles peignent, comme si leurs mères avaient cessé de transmettre cet art parce qu'elles n'en voyaient pas l'intérêt. On peut se demander pourquoi les jeunes générations semblent se désintéresser de ce patrimoine unique.  Est-ce la difficulté d’endosser un tel héritage à une époque où leur existence en tant que peuple autochtone oscille entre revendication identitaire, dépossession, intégration, conversion forcée sous couvert d’éducation ?

Une jeune génération qui peine à s’identifier aux codes et aux mythes de leurs parents, aux chants et à la poésie qui narraient la forêt et ses animaux, qui s’adressaient  aux plantes et aux arbres comme des êtres vivants, qui s’émerveillaient devant un banc de poissons dans l’eau vive d’une rivière, qui se réjouissaient des lucioles qui éclairaient la nuit pendant que les garçons dansaient. L’environnement a changé, les bassins houillers dévorent la jungle, rendent la terre stérile, chassent les animaux et les oiseaux jusqu'à l'extinction, font disparaître les plantes rares, les champignons et les fleurs, polluent le fleuve Damodar. Les récits, les chants, les fêtes bucoliques n’évoquent peut-être plus rien pour cette génération. Beaucoup vont étudier en ville tandis que d’autres sont simplement attirés par le monde urbain et délaissent ces peintures jugées naïves. Un phénomène largement répandu dans d’autres régions de l’Inde et ailleurs dans le monde.

Il y a aussi l’assimilation à l’hindouisme, qui se manifeste subrepticement lorsqu’un éléphant représenté dans une peinture murale devient Ganesha, le dieu à tête d’éléphant alors que les traditions tribales lui attribuent d’autres récits. Le Christianisme quant à lui, s’est attaqué aux rituels dédiés aux divinités animistes, au culte des arbres, aux tatouages, aux bijoux masculins, aux ornements de plumes etc.

Force est de constater que ces merveilles de la créativité humaine s’estompent année après année dans les villages. Pourtant ces peintures tribales, sous leurs formes papier ont fait le tour du monde, donnant lieu à des expositions ou à des performances en direct dans des musées prestigieux. Plusieurs articles publiés dans des magazines de décoration (World of Interiors, AD India, Maison Marie Claire) et sur le blog de Wall Street International ont témoigné de l'intérêt et de la beauté de ce patrimoine. Certains motifs ont été repris sur des papiers peints et des coussins vendus par la maison « L’aviva Home » à New York.

Mais ces peintures ont besoin de nouveaux supports pour perdurer, et une des façons d'assurer la survie de ce patrimoine est d'en encourager la demande. Les individus via les réseaux sociaux, les entreprises, les institutions et le gouvernement ont ce pouvoir.  Récemment, Alka Justin, épouse de Justin et leur fils Adam ont créé une collection de sari peints de motifs traditionnels ainsi que des sacs.

L'association « Femmes du Hazaribagh » fondée par Deidi Von Schaewen, poursuit son œuvre. Grâce aux cotisations et autres initiatives, l'association française soutient financièrement l'achat des pigments et de matériaux, rémunère les femmes artistes et apporte une aide pécuniaire pour les frais de mariages par exemple. Les fonds permettent également d’employer des ouvriers pour entretenir le centre Sanskriti. Il existe des initiatives régionales, comme la gare de Hazaribagh qui a été peinte en 2015. Après que le Premier ministre Narendra Modi eut souligné cet effort remarquable, ce fut au tour de tous les bâtiments gouvernementaux du pays d'être peints avec des motifs inspirés des cultures locales. L'idée étant de transformer les gares en musées d'art public, en sensibilisant les gens à leur patrimoine culturel.

Poste de police à la gare d'Hazaribagh ornée de peintures tribales 
Aéroport de Ranchi, une maison miniature ornée de peintures tribales avec un panneau pédagogique
Toilettes de l'aéroport de Ranchi ornées de peintures tribales

Quelques jours plus tard, alors que je quittais le centre pour me rendre à l'aéroport, je croisais sur la route, un groupe de personnes agitant un drapeau composé de lignes horizontales rouges et blanches, que mon guide a désigné sous le nom de Sarna. Ce drapeau symbolise la religion tribale du sarnaïsme, pratiquée par les communautés indigènes des États du Jharkhand, de l'Odisha, du Bengale occidental, du Bihar et du Chhattisgarh. Au cœur de cette tradition se trouve le culte des "bois sacrés" appelés sarna, un mot étymologiquement lié au nom de l'arbre sal (Shorea robusta) qui pousse en abondance dans la région. Le sanctuaire végétal est la demeure de la divinité du village, à laquelle des offrandes sont faites plusieurs fois par an.

Drapeau des populations tribales 

En chemin, le chauffeur de taxi m'apprend qu'aujourd'hui, 15 novembre, c'est l'anniversaire du héros populaire Birsa Munda, né dans la tribu des Munda en 1875. Dès son plus jeune âge, il a dénoncé l'oppression britannique et les conversions missionnaires chrétiennes, et a exhorté ses compagnons à réclamer leurs terres et leurs droits ancestraux.

Statue de Birsa Munda au musée Birsa Munda de Ranchi, Jharkhand

Les Britanniques, inquiets de la popularité et de la force croissantes de Birsa Munda et de ses guerriers arborant des arcs et des flèches, l’arrêtent le 3 mars 1900 alors qu'il dormait avec ses troupes dans la forêt. Il est emmené à la prison de Ranchi où il meurt le 9 juin 1900 à l'âge de 25 ans. En arrivant près du rond-point qui mène à l'aéroport et qui porte le nom du célèbre combattant de la liberté, des danseurs en rangs serrés se tiennent la main en cercle pour lui rendre hommage.

Capture de Birsa Munda 

Dans la salle d'attente, un dernier regard au buste fleuri du héros Birsa Munda avant de m'envoler pour le sud de l'Inde.


État du Jharkhand

Articles précédents :

Jharkhand, Hazaribagh "un patrimoine en péril" — partie 1

Jharkhand, Hazaribagh "Peindre les murs pour le festival de Sohrai" — partie 2

Jharkhand, Hazaribagh "Peindre les murs pour le festival de Sohrai" — partie 3

Jharkhand, Hazaribagh "Diwali au centre Sanskriti" — partie 4

Jharkhand, fête agricole de Sohrai, "Peindre des aripan pour accueillir le bétail" — partie 5