Kalam du Kérala, " Vettakkorumakan, un dieu chasseur " — partie 4

La peinture est devenue une aire sacrée et les officiants, chargés de sa réalisation ont matérialisé le corps divin qu’ils donnent à voir, à entendre et à toucher. Nul besoin d’initiation et de guide ; la matérialisation du « corps divin » et la mise en scène délibérément théâtrale du rituel guide le spectateur vers une expérience immersive et transformative.

Dès le commencement de mes recherches, les couleurs des kalam ont exercé sur moi une fascination particulière. Elles semblent émerger de la terre elle-même. Les tonalités d'ocre, de terre brûlée et de vert mousse se fondent harmonieusement, créant une palette empreinte de mystère qui évoque l'environnement organique de la forêt et une élégance rustique. Vettakkorumakan, dans une posture classique, illustre avec dignité son rôle de protecteur du Kérala. Son expression virile et empreinte de noblesse, révèle la majesté de son origine et la grandeur de son destin.

Vettakkorumakan en mandorle (prabhavali)

Une fois l’image achevée, le dais au-dessus de celle-ci est embelli de guirlandes de fleurs de laurier-rose et de franges taillées dans les feuilles tendres du cocotier. Puis, les officiants disposent des offrandes de riz décortiqué et non décortiqué, ainsi que des noix de coco sur des feuilles de bananier autour du kalam.

Guirlandes de fleurs et des franges taillées dans les feuilles tendres du cocotier pour le dais
Les offrandes de riz
Du riz décortiqué et non décortiqué sur des feuilles de bananier ainsi que des noix de coco comme offrandes

Les villageois se pressent pour contempler la peinture, mais à mon grand regret, peu montrent un réel intérêt pour le travail minutieux qui a présidé à sa création. Il semble que seule la vision divine captive leur attention. Comment ne pas être émue par la manière dont cette œuvre fragile, parvient à évoquer avec puissance la fugacité de l'existence et la sagesse qui en découle lorsqu'on la contemple. Sa force réside paradoxalement dans sa nature éphémère.

Les villageois viennent se recueillir

Accompagné par les sons puissants des tambours (chenda) et des hautbois (kuzhal), l'oracle, paré d’un tissu rouge autour des reins, émerge du Saint des saints, portant une épée droite symbole de la divinité. Les fidèles allument les lampes à huile tout autour de l'enceinte du temple, tandis que les officiants en font de même autour du kalam.

Je délaisse mes réflexions pour regarder la procession se former et se diriger vers le sanctuaire principal. Là, l'oracle, tenant fermement l’épée, exécute une série de mouvements rythmés, de pas et de sauts, accompagné par les musiciens Marar, qui développent patiemment des mesures de 1 à 10 temps. Cette danse, appelée "Eedum Koorum", prépare l'oracle à recevoir l’essence divine, lui conférant ainsi le pouvoir de communiquer avec les fidèles.

Les joueurs de Chenda, développent patiemment des mesures de 1 à 10 temps pour la danse de l'oracle
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Musiciens Marar, qui développent patiemment des mesures de 1 à 10 temps pour la danse appelée "Eedum Koorum"

Puis, les musiciens l'escortent jusqu'au kalam, autour duquel il effectue d’abord plusieurs circumambulations lentes (kalapradakshinam).  Alors que le tempo des chenda s'intensifie, l'oracle accélère ses mouvements et entre dans le kalam, tranchant toutes les décorations végétales suspendues au dais.

L'oracle, Chandrasekharan Kurup
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Ces dernières évoquent la forêt et par analogie le dépouillement de soi. La forêt correspond dans l’hindouisme au troisième stade de la vie appelé vanaprastha qui signifie «voie de la forêt». En réalité, le vanaprastha commence lorsque quelqu'un délègue les responsabilités domestiques à la génération suivante, joue un rôle de conseiller et se retire progressivement du monde. Cette phase succède généralement au statut de maître de maison (Grihastha). Pour le fidèle qui a consacré une partie de sa vie à prendre soin de sa famille, il est temps de se consacrer à l'étude des textes sacrés et à une pratique spirituelle disciplinée.

Petit à petit, une jonchée de feuilles et des franges de bananiers recouvrent la peinture malmenée par les assauts répétés de l’officiant. Soutenu par le rythme des tambours, il efface progressivement la figure divine, ne conservant que les poudres du visage, tout en traçant sur le monticule une formule sacrée avec son index. Le corps divin délivré de sa forme matérielle subsiste dans son essence. La divinité ayant réintégré le « Non-manifesté » est donnée à toucher. À ce moment précis, l’atmosphère empreinte de recueillement dans cet espace est rompue par les paroles de l’oracle qui s’avance vers les donateurs et délivre son message. Quelques membres lui demandent si la divinité est satisfaite des offrandes, à quoi il répond par l’affirmative.

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Kalathilattam ou danser dans le kalam et kalam maykkal ou effacer le kalam 

Le rituel s’achève dans le silence et les poudres du kalam ainsi que les offrandes céréalières sont distribuées aux membres du temple et aux fidèles. Ces images, véritables œuvres artistiques complexes, révèlent pleinement leur signification au moment où elles sont effacées, illustrant ainsi le profond message de l'adage du livre de la Genèse (Gn 3,19) : « Souviens-toi, homme, que tu es poussière et que tu redeviendras poussière » prend tout son sens. (en latin: Memento, homo, quia pulvis es, et in pulverem reverteris).

Le jour suivant, la cérémonie se répète, mais avec trois autres officiants Kuruppu et un plus grand nombre de musiciens Marar. En outre, le kalam de Vettakkorumakan se distingue par davantage de détails et de prestance.

"Kombu", une trompe en laiton en forme de "C" ou de "S" utilisée dans un ensemble de Kérala appelé Panchavadhyam (littéralement cinq instruments)
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Ensemble avec chenda, kuzhal et kombu

Cependant, la particularité réside dans le rituel final où l'oracle brise sans interruption douze mille noix de coco, les projetant en cadence sur une dalle de pierre. Cette performance appelée Pantheeraayiram (douze mille) est considérée comme l'offrande la plus appréciée du dieu chasseur dans les temples du nord et du centre du Kérala. Symboliquement, la noix de coco représente la tête, tandis que le geste de la briser matérialise le lâcher-prise vis-à-vis des vicissitudes existentielles.

Environ trois heures non-stop pour briser douze mille noix de coco. 
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Thenga eriyal ou briser des noix de coco. Le rituel inaugural en prévoyait qu'un nombre limité contrairement au rituel du lendemain

Danse de l'oracle, version longue

État du Kérala

Articles précédents :

Kalam du Kérala, " En route pour le village de Paruthipulli " — partie 1

Kalam du Kérala, " Visiter l'école du Kalamandalam " — partie 2

Kalam du Kérala, " Vettakkorumakan, un dieu chasseur " — partie 3