Alpona du Bengale, "Le Fleuve de Jean Renoir" — partie 1
Mon périple débute à Kolkata chez Ruby Palchoudhuri, une francophile authentique, qui fut tour à tour galeriste, présidente de l’Alliance française, ambassadrice de l’art contemporain bengali en Inde et à l’étranger. Aujourd’hui, elle s’occupe exclusivement de la valorisation de l’artisanat du Bengale et c’est par son entremise que je ferai connaissance avec un jeune artiste qui me guidera dans les villages.
L’avion amorce peu à peu sa descente sur Kolkata connue autrefois du Raj britannique sous le nom de Calcutta. J’appréhende ma rencontre avec la cité mythique tant les évocations de misère et de décrépitude ont façonné son image, année après année. C’est plutôt à Fritz Lang que je pense et à son diptyque que sont "Le Tigre du Bengale" et "Le Tombeau hindou". Ces deux films, en forme de péplums exotiques et sensuels mêlent images d’actualité de Calcutta et tableaux vivants à la manière d’un récit mythologique où se succèdent prêtres fourbes, princes en quête de pouvoir, un héros au cœur pur et une danseuse sacrée naïve et voluptueuse. D’autres font connaissance avec la littérature bengalie par l’intermédiaire d’André Gide qui a traduit en 1917 « Gitanjali » du poète philosophe Rabindranath Tagore. D’autres encore pénètrent le Bengale en visionnant les films de Satyajit Ray qui examinent et analysent les nombreuses facettes de la société contemporaine et les superstitions du monde rural. En 1998, lors de la remise du prix Nobel d’économie, l’occident découvre aussi Amartya Sen et ses travaux sur les mécanismes de la pauvreté.
Mais le Bengale dont je rêve depuis l’adolescence est celui des villages et de la créativité graphique des femmes comme dans la scène inaugurale du film « le Fleuve » de Jean Renoir, tourné en 1950 à Barrackpore près de Kolkata. D’ailleurs, Satyajit Ray grand admirateur du cinéaste fera partie de l’équipe et s’occupera des repérages. Les premières images convient spectateur à la création d’une peinture sur le sol appelée alpona pendant qu’une voix off entame le récit de l’histoire avec les mots suivants :
« En Inde, pour honorer un invité, les femmes décorent le sol de leur maison avec des dessins réalisés avec un mélange de farine de riz et d’eau ».
À la manière d’un documentaire, Renoir a filmé les rituels de la fête des lumières, une statue de la déesse Kali, le marché local et les activités autour du Gange et de ses bateliers. Depuis ce film, le Bengale s’est métamorphosé mais nul doute que les ambiances bucoliques saisies sur la pellicule m’attendent quelque part dans un village car en Inde, le passé et le présent cohabitent, les univers se superposent et se confondent. On a souvent cette sensation unique que l’on glisse d’un siècle à l’autre, ou d’un monde à l’autre. Je suis impatiente de découvrir des alpona comme celui qui m’a émerveillée lorsque je regardais « Le Fleuve » à la télévision, en compagnie de mes parents. Je n’oublierai jamais les premières minutes du film durant lesquelles des femmes dessinaient sur le sol les pétales d’une fleur sans se douter qu’elles écrivaient également ma destinée du bout des doigts.
Grâce aux réseaux sociaux, j’ai rencontré deux sœurs, Mallika Ganguly et Manjari Chakravarti, les filles de l’une des trois femmes que l’on aperçoit au début du film et c’est ainsi que j’ai pu les identifier. Il y a Shibani Chakravarti née Ghosh au centre qui a travaillé pour la croix rouge et la tante Karuna Shaha à gauche. Cette dernière fut une artiste de renom à Kolkata. Elle fit partie d’un groupe exclusivement féminin appelé “the group” dans les années 60 et que la presse a rebaptisé "Pancha Kanya". À gauche Khuki, la jeune sœur du cinéaste et documentariste Harisadhan Dasgupta né à Kolkata en 1923.
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