Alpona du Bengale, "La maison de Sumitra" — partie 3

Le riz est l’élément indispensable pour dessiner les alpona et les grains sont mis à tremper des heures durant puis broyés jusqu’à l’obtention d’une pâte liquide.

Alpona du Bengale, "La maison de Sumitra" — partie 3

Nous sommes le 14 janvier et le Bengale rural célèbre l’abondance des récoltes et la déesse Lakshmi. Nous arrivons finalement dans le village de l’artiste et c’est Rabi en personne qui reçoit notre petit groupe. Echange de salutations, quelques mots en anglais pour m’accueillir et il nous emmène à la maison de sa grand-mère. L’allée principale est constellée d’empreintes de pieds peintes en blanc pour indiquer à la déesse Lakshmi le chemin de la maison et bénir ceux qui y vivent.

Sumitra Mondal

Au centre de la cour, emmitouflée dans un châle blanc, Sumitra peint d’une main assurée sur la terre battue. Elle accompagne la substance laiteuse qui file entre ses doigts et invoque la présence de la déesse Lakshmi en répétant à la manière d'une incantation, l'empreinte de ses pieds.

Répéter l'empreinte des pieds de la déesse pour l'inviter à entrer dans la maison.
Décorer la cour

Le riz est l’élément indispensable pour dessiner les alpona et les grains de riz séchés au soleil sont mis à tremper des heures durant puis broyés jusqu’à l’obtention d’une pâte liquide.

Préparer la pâte de riz liquide

Ce matin, la campagne s’éveille à une autre dimension et sous les doigts appliqués de l’aïeule, le blanc soyeux cerne un à un les contours des objets du quotidien ou ceux que l’on rêve d’obtenir. C’est un blanc dépouillé, proche en quelque sorte du blanc mystique qui préfigure la transmutation du profane en sacré comme dans bon nombre de rites initiatiques. Rabi tel un chitrakar (des peintres du Bengale-Occidental qui narrent et chantent des récits mythologiques peints sur des rouleaux de papier), commente un à un les objets qui prennent place autour d’un alpona circulaire de grande taille. On découvre un seau, une marmite, des louches, un panier et des outils divers indispensables aux travaux des champs comme une houe, un râteau de bois, des faucilles et une échelle.

Un seau, une marmite, des louches, un panier et des outils divers 
Des outils indispensables aux travaux des champs comme une houe, un râteau de bois et des faucilles. 

On distingue également un van pour séparer la paille, la balle et la poussière du bon grain, un instrument décortiqueur de riz appelé dheki et un bonti ou découpoir, dont la lame recourbée s’élève d’un socle en bois et sert à trancher le poisson autant que les légumes. Pour terminer, une paire de boucles d’oreilles et des bracelets en offrandes à la déesse complètent le cercle.

Sur le pourtour, deux chats aux moustaches rieuses semblent convoiter une paire de poissons attachée à un fil à moins que ce ne soit le héron à proximité qui rêve de les emporter.

Deux chats aux moustaches rieuses semblent convoiter une paire de poissons attachés à un fil

Dans un autre coin de la cour, les représentations d’un crocodile (kumir) et d’une tortue (kachin) m’interpellent. Il s’agit en fait des montures des deux déesses fluviales, la Ganga et son affluent, la Yamuna. Ganga chevauche tantôt un crocodile appelé gavial du Gange (Gavialis gangeticus) ou une créature mythique nommée makara alors que Yamuna est juchée sur une tortue.

Un crocodile et une tortue servent de montures aux déesses Ganga et Yamuna

La cour entière et les allées sont ceinturées d’une guirlande figurant un épi de riz sans fin, pliant sous la charge des grains. Ici et là, des fleurs imaginaires envahissent ce ciel terrestre : un lotus tout en traits, alternant ondulations et lignes droites, des fleurs avec un cœur tourbillonnant et d’autres encore, semblables à des étoiles.


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