Alpona du Bengale, "Visite de Kolkata"— partie 2
À la sortie de l’aéroport, une voiture m’attend, envoyée par mon hôtesse et guide pour les quelques jours à venir. Cette dernière a organisé mon voyage au nord de Kolkata et une rencontre avec un jeune artiste passionné d’alpona. Ce dernier m’emmènera chez sa grand-mère et dans quelques villages environnants pour la fête agricole de Makar Sankranti, connue ici sous le nom de Poush Sankranti. C’est une des rares fêtes fixée par le calendrier solaire et qui inaugure une période d’abondance.En attendant, je vogue au gré des invitations et des visites programmées ; un véritable condensé de la vie culturelle de la ville qui s’est toujours enorgueillie d’être la capitale intellectuelle de l’Inde. Il y a d’abord une exposition à « l’Academy of Fine Arts » suivie le lendemain d’une conférence du journaliste Mark Tully au très British « Tollygunge Club » qui accueille chaque année une partie du festival de littérature. Puis une visite à l’imposante maison ancestrale du poète Rabindranath Thakur dit Tagore ; un être d’exception dont la réputation a traversé les frontières autant par ses écrits que par son extraordinaire humanisme. Il se liera d’amitié avec Romain Rolland et en 1919, ils signeront avec d’autres intellectuels éminents « La Déclaration d’Indépendance de l’Esprit » pour s’insurger contre la brutalité de l’Allemagne nazie et les divisions parmi les penseurs de l’époque.
Pour ma dernière journée, je choisis deux lieux mythiques. Pour commencer, flânerie dans le quartier des livres à « College Street » qui foisonne de bouquinistes, un peu comme ceux qui bordent la Seine à Paris. Ici, badauds et étudiants négocient les ouvrages puis s’engouffrent dans l’un des plus vieux cafés de la ville, « l’Indian Coffee House », le saint des saints pour l’intelligentsia locale.
Là, sirotant un chai, étudiants, révolutionnaires d’extrême gauche, amoureux, artistes en béret basque se rassemblent dans l’immense salle carrée pour refaire le monde sous un portrait géant du poète Tagore. Loin des jeunes filles en stilettos des cafés branchés de « Park street », l’ambiance ici n’est pas sans rappeler les cafés intello-bohème des années 70 à Paris.
Puis direction Kumartuli, un autre lieu mythique de Kolkata. C’est là que des potiers-sculpteurs fabriquent les idoles de la déesse, qui une fois peintes et habillées, seront portées en procession avant de disparaître immergées dans le fleuve. Plusieurs jours durant, les familles peuvent les admirer dans des chapelles temporaires construites pour l’occasion. Une idole est faite en plusieurs étapes et chaque artiste du quartier est spécialisé dans une phase particulière. Après la création d’un squelette de bambou, l’armature sera recouverte d’un mélange de paille et d’argile que l’on façonne jusqu’à obtenir les formes désirées.
Dans un autre atelier, des potiers préparent les membres, le buste et la tête, et ailleurs encore les ornementations de la couronne et les bijoux divers. L’idole est ensuite peinte puis habillée avec grand soin ; le dernier geste appelé chokhhu daan en bengali, consiste à peindre les yeux et plus particulièrement la pupille. La cérémonie de «l’ouverture des yeux» ou netronmilanam (sanskrit) est un moment clé dans les traités de peinture car elle équivaut à insuffler la vie à la divinité et c’est à ce moment précis que s’établit le contact avec le monde.
Articles précédents :
Alpona du Bengale, "Le Fleuve de Jean Renoir" — partie 1