Des tapis colorés pour célébrer la Fête-Dieu à Burnhaupt-le-Haut
La Fête-Dieu appelée également Corpus Christi ou fête du Saint Sacrement est une fête catholique, parfois anglicane destinée à honorer la présence réelle du Christ dans l'hostie et le vin consacrés lors de la communion. On raconte qu'en 1208, une religieuse de la ville de Liège, nommée Julienne de Cornillon, eut la vision d’une lune en splendeur avec un quartier manquant. Cette vision récurrente la plongeait dans le désarroi car elle n’en comprenait pas le sens, jusqu’à ce que le Christ lui ait expliqué que la lune symbolisait l'Église et la déchirure, l’absence de fête du Saint-Sacrement dans le calendrier chrétien. C’est ainsi qu’en 1246, l’évêque de Liège établit la fête dans son diocèse mais celle-ci demeura longtemps une particularité régionale. Il fallut attendre le début du 14ème siècle pour que le pape Jean XXII l'institua dans toute l'Église. Selon la bulle papale, la Fête-Dieu devait être une célébration joyeuse et révérencielle de l’Eucharistie accompagnée d’une procession et de chants. D’une certaine manière, on matérialisait le corps du Christ sous la forme d’une hostie posée dans une lunule en verre et sertie dans une pièce d’orfèvrerie appelé ostensoir.
L’amour du Christ qui se donne en nourriture reste au cœur de l’adoration même si le caractère solaire de la Fête-Dieu lui vient probablement de cultes antérieurs. Célébrée soixante jours après Pâques, la Fête-Dieu se prépare longtemps en avance. Il y a encore quelques années, des villes et des villages se métamorphosaient le jour de la Fête-Dieu. Des jonchées de fleurs et de feuilles ou de sciures colorées signalaient l'itinéraire de la procession ou des reposoirs.
Plusieurs jours à l'avance, les familles collectaient les pétales de fleurs des champs, cueillaient les fleurs du jardin pour confectionner les bouquets des reposoirs et des tapis floraux et conservaient le marc de café pour le contour des images.
Simone Morgenthaler nous livre une description colorée de la Fête-Dieu de son enfance appelée « Liewerherrgottsdaa » en alsacien : « Je me souviens combien, dans mon enfance, mon village s'enrubannait ce jour-là de fleurs et de guirlandes. Des autels provisoires étaient installés en divers endroits et les coups de marteau résonnaient la veille jusque dans la nuit. Nous nous rendions dans les prés pour faire des bouquets de scabieuse, centaurée, cardamine, rhinanthe-crêtes de coq et autres fleurs des champs pour obtenir beaucoup de bouquets à répartir aux points de halte de la procession. Maman cueillait des pivoines, du seringat, des roses et des éphémères de Virginie qu'elle mélangeait dans des vases en pâte de verre bleu disposés sur les rebords de fenêtres. Elle y ajoutait un effet vaporeux avec du Spärigelkrüt, buisson vaporeux né d'une asperge que l'on n'a pas cueillie et qui monte en hauteur en buissonnant, comme une masse vaporeuse pointillée de baies vertes qui deviennent ensuite rouges. »
Fête-Dieu à Burnhaupt-le-Haut
Cette fête religieuse durant laquelle on promène l'hostie sainte pour l'offrir à l'adoration des fidèles a quasiment disparu en France depuis les années 70-80. Cette tradition perdure cependant sous une forme minimale dans quelques régions et avec une ferveur toute particulière à Burnhaupt-le-Haut, un village du Haut Rhin en Alsace. Une centaine de bénévoles sous la houlette de Christophe Schulz, le président de l'association "Renouons avec les Traditions" célèbre depuis plus de vingt ans la Fête-Dieu avec un enthousiasme renouvelé. Après deux ans d’arrêt pour cause de pandémie, le dimanche 19 juin a vu l’aboutissement de plusieurs mois de préparation pour accueillir Dieu parmi ses fidèles. La veille, des fleurs offertes gracieusement par des jardineries ont été réparties parmi les familles en fonction des décorations planifiées. Il a fallu trier les végétaux et les garder au frais car les canicules de plus en plus fréquentes ont eu raison des fleurs des champs ou de celles des jardins.
Dès l'aube, hommes, femmes et enfants et membres de l’association se sont donné rendez-vous pour mettre en place les reposoirs et tracer à la sciure le chemin de procession de 1,6 kilomètre à travers les rues du village.
Année après année, les bénévoles ont amélioré les techniques de décoration utilisant des pochoirs de grande taille ou encore une machine à répandre la sciure de manière régulière grâce au talent d’un ingénieur. Règles et bâtons servent à centrer le parcours alors qu’un quad équipé d’une remorque distribue à intervalles réguliers les sacs de sciures colorées, le gazon fraîchement tondu et le marc de café.
Les fleurs sortent de l’obscurité des granges et se transforment sous les mains des femmes, en bouquets qui embellissent les murets des maisons ou rehaussent les quatre reposoirs à thèmes. Des motifs votifs réalisés avec des pochoirs ou à main levée ponctuent le trajet de la procession.
On y trouve les symboles du Christianisme : le ciboire, le calice, l'hostie, la colombe, la grappe de raisin comme image de la renaissance spirituelle et du salut en Christ, l'ancre, la croix et le cœur dans un même dessin. La dimension spirituelle des dessins réalisés à même le sol ne sont pas sans rappeler certaines traditions du sud de l’Inde où les prières peintes reflètent un savant mélange entre décoration et profession de foi.
Tôt le matin, un vent insolent a dispersé ici et là la sciure, mais déjà les regards se tournent vers la procession qui franchit le porche de l’église. Précédé par les porteurs de bannières, les musiciens de l’Harmonie instrumentale de Soultzmatt, la chorale paroissiale et les enfants qui dispersent des fleurs le long du trajet, le dais apparaît tel un deuxième ciel, abritant le prêtre à la cape dorée qui porte l’ostensoir pareil à un soleil. La procession rejoint peu à peu le premier reposoir appelé « Ô Christ, fontaine de vie ». À la croisée de deux rues, la chaussée s'est métamorphosée en une pièce d'eau créée de toutes pièces avec de la sciure colorée en bleu et des végétaux divers autour d’un autel provisoire paré de roses. C’est un moment de prières, de chants et de recueillement avant que la procession ne s'ébranle pour rejoindre les prochains reposoirs et achever ainsi une boucle, symbole d’une terre sublimée, parée de fleurs et de senteurs qui parlent à l’âme.