Kalam du Kérala, " En route pour le village de Paruthipulli " — partie 1

Cela fait plusieurs années que je répertorie les festivals et les rituels de peinture éphémère en Inde.  Pour la région du Kérala, j'avais noté " Kolam de la communauté Nurani ". Nurani désigne à la fois un quartier de la ville de Palghat ou Palakkad, un temple dédié à la divinité Shasta et un groupe de femmes qui se réunissent chaque année dans le sanctuaire pour peindre des kolam pendant une période de 41 jours appelée mandalakalam. Je suis en contact avec une femme de cette communauté depuis trois ans, mais en raison de la pandémie, nous avions dû reporter ma visite à décembre 2023. Par chance, je séjournerai non loin de Palghat, ayant accepté l'invitation de KP Ravishankar, un producteur de films documentaires et amateur d'art que j'avais rencontré en début d'année.

Après le Jharkhand, direction le Kérala. À la sortie de l’aéroport de Coimbatore, une ville située à l’ouest du Tamil-Nadu, au sud de l’état du Karnataka et en bordure du Kérala, je suis accueillie par mon hôte qui me conduit directement chez lui. En chemin, je découvre avec émerveillement l'imposante chaîne de montagnes des Ghats occidentaux qui s’étend parallèlement à la mer d’Arabie à l’ouest, culmine à 2695 mètres au Kérala puis s’étire jusqu’à Kanyakumari (Cap Cormorin), la pointe méridionale de la péninsule indienne.

Sur la route de Coimbatore à Palghat

Certaines stations climatiques comme Kodaikanal et Ooty, à 2100-2200 mètres sont très prisées et constituent un refuge idéal aux habitants des plaines tropicales fuyant la saison chaude. En 1939, Maria Montessori, première femme diplômée de médecine en Italie a été invitée par la Société Théosophique de Madras (Chennai) pour y dispenser une formation. Lorsque la deuxième guerre mondiale éclate, elle est assignée à résidence à Kodaikanal et reste en Inde jusqu’à 1946, mettant à profit son séjour pour perfectionner sa méthode pédagogique, qui sera connue dans le monde entier.

Maria Montessori à Kodaikanal,Tamil-Nadu, Inde du sud

Kodaikanal abrite aussi une des plus importantes collections de rosiers en Inde. Son fondateur, M.S Viraraghavan, récemment décédé était un rosiériste de renommée internationale. Girija, son épouse et petite-fille de l'ancien président de l'Inde, le Dr Sarvepalli Radhakrishnan (de 1962 -1967), a tout quitté pour s'installer avec son mari dans cette ville au climat idéal pour la germination des graines de rose. Invités à de nombreux congrès dans le monde entier, ils ont créé des centaines de nouvelles variétés.

M.S Viraraghavan et Girija Viraraghavan, Belgique, Juin 2023, crédit photo - Sushil Prakash

Il y a quelques années, le couple avait acheté une maison dans un complexe résidentiel à Pondichéry (Puducherry), où il se rendait régulièrement. Un jour, invitée par une amie de Chennai à donner une conférence informelle sur l'art du kolam et autres formes de peinture éphémère en Inde aux résidents de ce domaine, j'ai eu l'occasion, à la fin de mon exposé, de rencontrer et d'échanger avec ce couple mythique de créateurs de roses. Impressionnée par la quantité de photos et d’informations que j’avais rassemblées au fil des années sur cette forme d’art populaire tamoul, Girija Viraraghavan m’a écrit quelques mois plus tard pour me faire part de leur intention :

« Une des variétés de roses que mon mari hybride, se nomme « Peintes à la main ». En d‘autres termes, chaque fleur de cette variété donne l'impression que les pétales ont été peints au pinceau. Mon mari a récemment cultivé un plant qui a commencé à fleurir au cours des derniers mois. Les fleurs ont de nombreux pétales, et chaque pétale a un bord plus clair, de sorte que lorsque l’on regarde la rose dans son ensemble, elle nous rappelle un kolam ou rangoli. C’est en souvenir de la conférence sur le kolam qu'il a décidé de nommer cette rose - Chantal's kolam -. Beaucoup de nos roses portent le nom d'amis du monde entier, et nous voulions honorer votre travail. »

En tant que passionnée de jardinage et de rosiers, rien ne pouvait me faire plus plaisir. Dans une roseraie de Kodaikanal, nichée au cœur des collines de Palani, il y a maintenant une rose chère à mon cœur. Je n'ai pas encore eu l'occasion de visiter cet endroit, mais j'espère un jour accueillir ce rosier indien dans mon jardin.

Nous franchissons la « trouée de Palghat » (Palghat Gap), un passage stratégique, une dépression d’une trentaine de kilomètres entre les Nilgiris et les monts Anaimalai au sud, qui divise les Ghats occidentaux et relient le Tamil-Nadu au Kérala. Les Nilgiris ou montagnes bleues, doivent leur nom aux fleurs bleu-violet appelées Kurunji (Strobilanthes kunthiana) qui fleurissent une fois tous les douze ans.

La route en direction de Palghat est bordée de palmiers, et constellée de rizières verdoyantes où s'ébattent de grands hérons blancs (Ardea alba). Vient ensuite l'indispensable pause thé et café, accompagnée de beignets de lentilles croustillants (parippu vada) pour discuter du programme des prochains jours, et j'ai le plaisir d'apprendre que j'assisterai à un kalamezhuttu de la communauté des Kurup au temple du village de mon hôte. Ce rituel requiert la création d'une ou de plusieurs peintures éphémères et la présence d'un oracle.

Kalam du dieu chasseur Vettakkorumakan

De retour sur la route, les panneaux de signalisation rédigés jusqu’alors en caractères tamouls élégants et complexes (தமிழ்நாடு) sont tout à coup remplacés par l’alphabet du malayalam tout en courbes et en boucles artistiques (കേരളം). Nous sommes au Kérala et cette région de l’Inde et sa culture, ont façonné mon identité et mon parcours artistique d'une manière unique et significative. Nous arrivons enfin à destination et, en entrant dans le village de Paruthipulli, un paysage bucolique nous accueille.

Au bord de l’étang, des hommes se rafraîchissent après une dure journée de labeur et des enfants insouciants et rieurs jouent dans l’eau, créant de joyeux remous à chaque plongeon.

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La brise du soir caresse délicatement les gracieux épis de riz et les ondulations vert tendre créent un tableau apaisant. Un martin-pêcheur perché sur les lignes électriques, observe patiemment avant de plonger en piqué à la recherche de petits poissons nageant parmi les tiges de riz. Il disparaît en un éclair pour réapparaître dans une gerbe de gouttelettes d'eau, une proie dans le bec.

Ici et là, des hérons au plumage immaculé et aux yeux perçants se déplacent en silence, scrutant minutieusement les eaux en quête de créatures aquatiques. Quelques minutes encore et me voici arrivée à la maison de mon hôte K. P Ravishankar et de son épouse Vasanthi.


État du Kérala

Histoire à suivre…