Kalam du Kérala, "Ayyappan, un prince ascète" — partie 1

La période de 41 jours du mandalakalam qui commence le premier du mois de Vrikshikam (mi-novembre, mi-décembre) pour se terminer fin décembre incarne une époque d’une intense ferveur religieuse et un temps de grande activité pour les peintres rituels.

Kalam du Kérala, "Ayyappan, un prince ascète" — partie 1

" Maître dites-moi, qui sont ces hommes barbus, vêtus de pagnes bleus ou noirs portant sur la tête un sac en tissu, des rosaires autour du cou et qui marchent avec détermination en chantant à tue-tête ? Ce sont les dévots du dieu Ayyappan, répond mon professeur, et ils sont en route pour le sanctuaire de Sabarimala". Durant mes années d'études au Kérala, plusieurs fois par jour, pendant quarante et un jours (un temps d'austérités appelé mandalakalam), des pèlerins majoritairement hommes et quelques femmes passaient le long de la route en petits groupes, menés par un chef spirituel; souvent un ancien qui scandait haut et fort "Swamiye Ayyappo" (Seigneur Ayyappa) et le groupe répondait "Ayyappo Swamiye, Sharanam Ayyappa" (Seigneur Ayyappa, le seul refuge). Du matin au soir, le village était rythmé par le flot des haut-parleurs déversant des chants populaires dédiés à Ayyappan, le Seigneur de Sabarimala, un dieu également appelé "Dharma-Shasta" (maître, guide).

Statue d'Ayyappan promenée en procession durant la période du mandalakalam, Chennai, Tamil-Nadu
Procession du dieu Ayyappan dans un quartier de Chennai avec un ensemble instrumental du Kérala appelé Panchavadyam.

Si le dieu Murugan est populaire dans le Tamil-Nadu, Ayyappan est le dieu adoré des Kéralites car son histoire personnelle commence dans les forêts luxuriantes du Kérala, sur les berges de la rivière Pampa. J'étais d'autant plus émerveillée par cette légende locale que je vivais près de cette rivière et que je m'y baignais presque tous les jours. Au fil des ans, la popularité du pèlerinage s'est étendue aux autres états de l'Inde et par delà des frontières. Le culte de ce dieu est un syncrétisme étonnant entre le Shivaïsme et le Vishnouisme, tout en y associant un saint musulman du nom de Vavar, vénéré par les hindous du Kérala parce qu'il fut autrefois le fidèle compagnon d'Ayyappan. Pendant les quarante et un jours du mandalakalam, les hiérarchies sociales s'effacent ; brahmanes, hommes d'affaires, simples artisans ou agriculteurs sont tous des dévots d'Ayyappan. Égalitariste d'un côté, le pèlerinage est interdit aux femmes nubiles à l'exception des femmes âgées. Deux ans après que la Cour suprême en 2019, le gouvernement de l'État et le comité d'administration du temple aient autorisé deux jeunes femmes à se rendre au temple de Sabarimala, la pandémie a été le prétexte pour leur interdire de nouveau l'accès au sanctuaire de la colline.

Mandalakalam, une période spéciale pour les peintres de kalam

La période de 41 jours du mandalakalam qui commence le premier du mois de Vrikshikam (mi-novembre, mi-décembre) pour se terminer fin décembre n’est bien sûr pas une division supplémentaire de l’année mais incarne une époque d’une intense ferveur religieuse et d'austérités, notamment dans les temples d'Ayyappan et de la Déesse. C'est un temps aussi de grande activité pour les peintres rituels qui pour la plupart appartiennent à la communauté des Ambalavasi, littéralement "Ceux qui résident dans le sanctuaire". Ces derniers ont des activités liées étroitement à la vie du temple ; certains accompagnent musicalement les cultes par leurs chants en s’accompagnant de percussions, d’autres confectionnent les guirlandes et entretiennent les cours intérieures du temple et les objets votifs. Si d’aucuns peignent exclusivement les images de la déesse, d’autres en revanche ne représentent que le dieu Ayyappan. D’autres encore ont un répertoire plus large comprenant des images de la Déesse, d’Ayyappan, des Nâga et d’autres divinités. Pendant le mandalakalam, les fonctions des Ambalavasi varient en fonction des mécènes privés ou des comités d'administration des temples, et peuvent durer un seul jour, plusieurs jours consécutifs ou les 41 jours du mandalakalam. M. Parameswara Kurup appartient à cette communauté. Je lui dois de m'avoir fait découvrir à chacune de nos rencontres, son fabuleux répertoire de peintures votives.

Parameswara Kurup dessine Ayyappan

Dans l'iconographie traditionnelle, Ayyappan est représenté debout, ou monté sur un cheval ou une tigresse, et brandissant un arc et des flèches. Ces scènes illustrent les épisodes importants du mythe, à savoir le séjour dans la forêt et le retour triomphal sur le dos d'une tigresse. Dans toutes les peintures de Parameswara Kurup, Ayyappan apparaît comme un adolescent à l'expression noble et sereine. Le fond vert symbolise l'incarnation terrestre du dieu.

Parameswara Kurup et son fils dessinent Ayyappan sur un cheval
Le Kalamezhuttu est exécuté comme une offrande dans les familles dont les membres se préparent au pèlerinage. Une fois la peinture terminée, Parameswara Kurup et son fils chantent à la gloire d'Ayyappan.

L'incarnation d'Ayyappan

Lorsque le démon buffle Mahisha fut anéanti par la déesse Durga, sa sœur Mahisi décida de le venger. Elle entreprit de terribles austérités afin d’obtenir des dieux une faveur. Le dieu Brahma lui accorda de mourir uniquement de la main du fils engendré par l'union de deux dieux mâles (Shiva et Vishnou). Convaincue de l'impossibilité d'une telle action, elle redoubla d’arrogance et oublia que les Immortels avaient de nombreux pouvoirs. Le dieu Vishnou prit l'apparence de Mohini l'enchanteresse et Shiva, ne résistant pas à sa beauté, s'unit aussitôt à elle et de leur étreinte amoureuse naquit un enfant. Ils abandonnèrent volontairement l'enfant dans les épaisses forêts du Kérala, sur une berge de la rivière Pampa. Le roi de Pandalam, pieux et charitable, qui chassait dans les parages, trouva le bébé. Plusieurs pensées traversèrent l'esprit du roi : "Comment cet enfant merveilleux s'est-il retrouvé dans cette forêt pleine d'animaux sauvages ?" À cet instant, un sage vieillard (le dieu Vishnou déguisé) surgit de nulle part et lui dit : "Prends soin de lui comme de ton propre fils (le roi n'avait pas d'héritier pour son trône), et tu seras béni". l'enfant grandit dans la joie et l'affection de tous. Très vite, il se révéla être un cavalier brillant et fit preuve de prouesses extraordinaires au tir à l'arc et à l'escrime.
il se révéla être un cavalier brillant et fit preuve de prouesses extraordinaires au tir à l'arc et à l'escrime. 
Un jour cependant, la reine conçut un enfant. Elle voulut écarter le fils adoptif du trône et pour cela prétexta une migraine terrible que seul le lait d’une tigresse pourrait guérir. Ayyappan attentif et courageux se rendit seul dans la forêt pour y accomplir la tâche. En route, il rencontra la démone Mahishi. Au terme d’un combat acharné, il la prit par les cornes et la fit tournoyer dans les airs. Sa première mission était remplie et les dieux se réjouirent à la vue de ce spectacle. Le dieu Indra et les Immortels se transformèrent en tigresses et s’en retournèrent avec l’enfant qui fit une entrée triomphale dans le palais.
Le dieu Indra et les Immortels se transformèrent en tigresses et s’en retournèrent avec l’enfant qui fit une entrée triomphale dans le palais.
Ses parents ayant entendu une voix dans le ciel comprirent qu’il n’était pas un enfant ordinaire mais une incarnation divine. Le fils bien-aimé leur annonça que son temps sur terre était terminé et qu’il devait partir. Le père lui demanda de choisir un lieu pour ériger un temple. Ayyappan saisit son arc et décocha une flèche qui se planta sur la montagne de Sabarimala. C'est ainsi que les pèlerinages se mirent en place au fil des années.
Ayyappan en tant que Seigneur de Sabarimala est dessiné en position assise avec les jambes retenues par une ceinture de méditation (Paṭṭabandham). Sa main droite fait le geste symbolique chin mudra.

Quelques séquences filmées du pèlerinage

Pèlerins en route vers le sanctuaire
Les pèlerins traversent la forêt