Kolam et vente aux enchères de saris
L'un de mes plus grands plaisirs, lorsque je suis à Chennai, est de passer un après-midi en compagnie des femmes qui viennent peindre des kolam au temple Vedanta Desikar, et plus particulièrement lors des dates importantes du calendrier religieux du sanctuaire. Elles habitent toutes dans le voisinage et se réunissent souvent pour dessiner dans la salle des piliers.
Je pourrais contempler des heures durant ces chorégraphies rythmées, abstraites et bruissantes de suggestions imagées. Très rapidement, on ne sait plus où commence et où finit la graphie dansée, tant les corps et les doigts sont liés l'un à l'autre. Mon regard se détache et ne cherche plus à comprendre le sens des images.
Je me laisse porter par le rythme des courbes, des arabesques, des longs rubans qui se déroulent au gré du moment et parachèvent les kolam. Des lignes graphiques vibrantes créent des paysages imprégnés de symboles religieux ou réinventent peut-être les traits élégants et fluides de l'antique écriture curviligne Pallava Grantha que l'on peut admirer ici et là sur les murs des temples du Tamil Nadu.
Ces parcours tressés, ces amples déroulements, enroulements et autres mouvements spiralés, en zigzags répétés oscillent entre lenteur et vitesse, élans fougueux et arrêts sur image. Ces évocations graphiques rythmées renvoient à l'incantation, à l'exploration intérieure et à la prière dans le but de suspendre le temps humain et d'invoquer l’invisible.
La danse des femmes presque extatique autour des kolam suggère qu'elles contemplent quelque chose de la présence divine, mais sous quelle forme ? L’invisible est-il perçu comme une puissance, un rayonnement ? Dans la spiritualité indienne, la musique, la danse et les expériences religieuses sont intimement liées. L'Être suprême peut se manifester sous toutes les formes, même dans le silence des lignes majestueuses et nourricières d'un kolam tracé au lait de riz. Une expérience qui culmine dans un face-à-face intime avec soi-même.
Une fois le sol de la salle entièrement décoré de ces kolam immaculés, je reviens peu à peu à la réalité, car un événement unique, dont j'ignorais l'existence, se déroule aujourd'hui dans le temple : une vente aux enchères. Deux fois par an, le temple organise des enchères pour vendre les saris et les dhotis offerts au couple divin par les fidèles. Des ventes similaires sont également organisées dans d'autres temples et génèrent d'importants bénéfices.
Dans la grande salle adjacente au sanctuaire, les membres des autorités du temple suspendent les offrandes textiles une à une sur une corde tendue entre deux piliers. Les saris et les pagnes forment des piles impressionnantes, car de nouveaux saris et dhotis sont offerts chaque jour de l'année, drapés autour des statues, puis mis en vente.
En général, seules les femmes de la communauté locale y assistent et achètent. Bien que ces tissus finissent par être tachés ou abîmés par les rituels accomplis devant les statues, les femmes n'hésitent pas à les acheter et à transformer les étoffes abîmées en jupes et en corsages pour les jeunes filles, car ils sont intrinsèquement de bon augure.
Les femmes que j'admire
Lorsque l'on contemple les femmes dessiner, on se rend compte à quel point l’offrande graphique relève de l'exercice de méditation.