Alpona du Bengale, "Fête de Poush Sankranti chez Sumitra" — partie 4
Émue par la gestuelle gracieuse et invocatoire, je repense aux premières images du film "Le Fleuve" de Jean Renoir et je comprends mieux à présent pourquoi le cinéaste avait choisi d’ouvrir le film avec la création d’un alpona afin d’honorer la mémoire de son père, le peintre Auguste Renoir. Sumitra a terminé l’ouvrage et disparaît dans la maison. J’en profite pour admirer les murs ainsi que les battants de la porte d’entrée. Pareils à un cahier d’école rempli de signes énigmatiques, les murs rougis à l’ocre et rehaussés de dessins et de symboles sont un condensé des croyances et des cultes magico-religieux du monde rural bengali. Ces compositions graphiques à ciel ouvert me rappellent les illustrations du seul et unique livre en Français sur cet art, intitulé : « L’Alpona ou les décorations rituelles au Bengale » d’Abanindranath Tagore et publié à Paris en 1921. L’auteur était un peintre, un illustrateur et un homme de lettres. Né en 1871 dans la famille du philosophe Rabindranath Tagore dont il était le neveu, il créa la «Indian Society of Oriental Art» pour valoriser les arts traditionnels indiens.
Je retrouve d’ailleurs sur les murs, des dessins qui m’avaient fait grande impression dans l’ouvrage. Aujourd’hui c’est Rabi en personne qui décrit la signification des motifs. Il y a bien sûr des instruments agricoles, des ustensiles de cuisine, des lotus, des poissons, des oiseaux, des figures humaines abstraites, des pieds divins, des bori sur une grille (une spécialité culinaire en forme de boulettes de pâte de lentilles mises à sécher avant d’être cuisinées), des mangues, des feuilles de bétel, un palanquin, un pot de vermillon, des ornements de bras et des greniers à grains (gola) circulaires édifiés avec des lattes de bambou. Des frises en épi ornent les colonnes de soutien de la véranda alors qu’une liane de conques stylisées court sur l’encadrement supérieur de celle-ci. En montant les quelques marches, mon regard se porte sur les battants de la porte d’entrée ornés de deux chouettes se faisant face. Au Bengale, l’oiseau nocturne est la monture de la déesse Lakshmi.
Sumitra, drapée dans un sari rouge et orange réapparaît et s’approche du grand alpona les mains chargées d’un plateau de fleurs qu’elle dépose sur un tapis de riz non décortiqué. Assise en tailleur, elle ouvre la cérémonie d’adoration de la déesse avec les offrandes d’usage puis le rituel s’achève après maintes salutations.
Plus tard dans la matinée, autour d’une tasse de thé, Rabi Biswas raconte sa passion pour les décorations rituelles. Enfant, sous l’œil admiratif de sa grand-mère, il peint sur les sacs de papier qu’une voisine fabrique pour des commerçants. Plus tard, il collecte auprès des villageoises, des motifs d’alpona. Une collection qui ravit tant l’aïeule qu’elle décide de l’initier à cet art. Depuis ce jour, il a transposé cet engouement sous la forme d’un livre, illustré de pictogrammes liés aux traditions locales.
Articles précédents :
Alpona, image symbole des femmes du Bengale
Alpona du Bengale, "Le Fleuve de Jean Renoir" — partie 1
Alpona du Bengale, "Visite de Kolkata"— partie 2
Alpona du Bengale, "La maison de Sumitra" — partie 3
Alpona du Bengale, "Fête de Poush Sankranti dans les villages" — partie 5