Kalam du Kérala, "Couleurs et expressions"— partie 4
Cinq couleurs pour le kalam
Les couleurs sont plus qu'un simple choix esthétique ; elles véhiculent des concepts aussi bien que des sentiments. Les cinq poudres sont choisies en fonction des attributs de chaque dieu ou déesse. Les cinq couleurs ou panchavarnam proviennent d’éléments minéraux ou végétaux. Farine de riz ou chaux pour le blanc, racines de curcuma (Radix Curcumae) pulvérisées pour le jaune. Les feuilles de l’arbre Vaka (Acacia Sirisa) séchées et réduites en poudre pour le vert. Le mélange curcuma et chaux (cunnam) pour le rouge. Selon la quantité de chaux et d’eau, on obtient un rouge plus ou moins foncé voir un rose. La balle de riz brûlée et pilée donne la couleur noire.
En Inde du sud, ce n’est pas le blanc mais le VERT associé à la verdure, à la fertilité et à la noblesse qui prévaut pour les caractères nobles. Cette couleur perçue comme intrinsèquement de bon augure revêt un caractère particulier.
Le JAUNE est la couleur du soleil, du curcuma. Ce sont les rhizomes de la plante qui, une fois séchés et réduits en poudre, donnent cette couleur intense et chaleureuse. C’est une des raisons pour laquelle les femmes tamoules s’enduisent le corps et le visage avec le précieux ingrédient. On enduit également le corps de bébés ainsi que celui des vaches lors de la fête agricole de Pongal.
C’est aussi parce qu’il évoque l’or et le soleil que le précieux rhizome est associé à la pureté, à la sainteté et à la lumière de la Connaissance. Dans les cérémonies qui consacrent journellement les divinités, une des étapes du rite consiste à lustrer la figure divine avec « l’eau jaunie » si vénérée et de marquer l'emmarchement .
Dans les kalam, il est utilisé pour Gandharva dans le rite appelé Kalampattu et le jaune-orangé pour Annapurneswari, une forme bénéfique de la déesse et pour Ayyappan sous la forme du seigneur de Sabarimala.
Le ROUGE est ambivalent car il évoque soit le sang symbole de vie, de bonne santé et de l’énergie sexuelle, soit la cause principale de pollution comme les menstruations des femmes qui leur interdisent l’accès au temple et autres lieux considérés comme sacrés (chapelle familiale, cuisine, puits etc.). C’est aussi l’association au sang versé dans les guerres, la mort et tous les rites obscurs qui comportent des sacrifices.
Les forces chtoniennes, les rites de magie noire et la pollution sont associés à la couleur noire. Le NOIR est destiné aux démons, aux esprits malfaisants.
Abhinaya ou l’art de manifester les sentiments
Selon le Natya Shastra (traité sur les arts dramatiques), le bhava est l’état psychologique et le rasa serait son émanation ou sa projection. Si l’attitude du corps suggère l’état affectif général, l’œil traduit immédiatement les émotions. Les formes des yeux selon les règles canoniques ne correspondent pas seulement aux différences de tempéraments mais rendent compte des émotions.
Dans les peintures kalam, les sentiments les plus représentés sont SRINGARA (la joie, l'amour), SHANTA (la sérénité, la paix, la libération) pour les êtres d’essence supérieure et à l’aspect serein tels Durga, Bhagavati, Annapurneswari et Ayyappan le "Seigneur de Sabarimala" ; VIRA : l’héroïsme, le courage, la fierté, la noblesse, convient à Ayyappan sous les traits du chasseur ; RUDRA : la fureur, la violence, la cruauté, diffère en intensité et en intention selon la nature cruelle de certaines divinités.
L'article est tiré de mon livre "Kolam et Kalam, peintures rituelles éphémères de l'Inde du Sud", Editions Geuthner, Paris 2010.
Articles précédents :
Kalam-du-kerala-dessiner-et-chanter-les-peintures-partie-1/