Kalam du Kérala, Kalampattu, "Protéger la mère et l'enfant" — partie 2

Le Kalampattu désigne un rite curatif et domestique pour rendre les femmes fécondes, prévenir l’avortement, écarter les influences malignes de l’enfant à naître et faire venir les menstruations. Il éloigne les divinités Yaksa, Yaksi et Gandharva.

Kalam du Kérala, Kalampattu, "Protéger la mère et l'enfant" — partie 2

Yaksi, Yaksa et Gandharva, des divinités sombres parfois

Gardiennes des temples de la Déesse, Les yaksi sont considérées parfois comme des aspects inférieurs et cruels. Malveillantes, elles hantent, possèdent et dévorent les enfants. Elles sont représentées comme des fantômes de jeunes filles mortes violemment avant le mariage. Elles apparaissent également au promeneur nocturne comme des femmes très belles et séduisantes. Si le promeneur succombe à leurs avances, il est emporté et dévoré car elles se transforment immédiatement en ogresses. Au Kérala, on la décrit avec un dos troué que cache une abondante chevelure. Les yaksa, des génies bénéfiques du folklore hindou représentent également un aspect inférieur du dieu Shiva . Comme pour les divinités dites secondaires, ils sont souvent décrits comme des démons cannibales. Quant aux gandharva, des musiciens célestes chargés de distraire Indra, le roi des dieux et sa cour sont invoqués pour la prospérité. Ils sont les "Scintillants" qui résident dans le ciel, les génies aériens, les "Parfums", mais ils ont également la triste réputation d’être des fauteurs de trouble, amateurs de femmes, embrouillant les esprits avec le vin, le jeu et l’amour. On déplore leur influence sur les filles nubiles, et en tant qu’incubes, sur les femmes mariées. Invoqués dans les rites du mariage, ils sont en rapport avec l’embryon humain. Ils donnent et refusent la fécondité, et se transforment aussi en vils démons abortifs; embusqués sur des palmiers, ils se jettent parfois sur les humains et pénètrent en eux, et il est alors extrêmement difficile de les exorciser.

Des divinités pour tourmenter la femme et l’enfant à venir

Le Kalampattu désigne un rite curatif et domestique élaboré par les Kaniyan  du Nord du Kérala. Les officiants Kaniyan  (du sanskrit "ganika" qui veut dire astrologue) de la région du Malabar sont divisés en deux groupes : ceux qui pratiquent l’astrologie et les autres spécialisés dans la confection des ombrelles et les exorcismes. Ces derniers pratiquent aussi l’astrologie.

Charte astrologique dessinée à la craie pour une consultation 

Durant le mois malayalam de Dhanu (mi-décembre, mi-janvier), les Kaniyan étaient invités pour le Nâgapattum (chants pour les Nâga) et le Kalampattu. Ce dernier est tombé en désuétude et la dernière cérémonie remonte à 21 années. Sa fonction était de rendre les femmes fécondes, prévenir l’avortement dans le 7ème et 9ème mois de la grossesse, écarter les influences malignes de l’enfant à naître et faire venir les menstruations.  

Peindre le kalam

Autrefois les Kaniyan se rendaient directement dans les maisons et installaient un pavillon provisoire décoré avant la mise en place de la cérémonie.

Avant de commencer le tracé, le sol est enduit de bouse de vache enfin de purifier les lieux. Un des officiants esquisse à la farine de riz, Yaksa, la figure centrale, puis Yaksi à sa droite et Gandharva à sa gauche.

Yaksi et Yaksa

Les trois personnages ont un buste étroit, surmonté d’épaules et de bras démesurément larges. Les doigts des deux mains sont évoqués par cinq traits. Les jambes très courtes semblent flotter dans l’espace et nous indiquent, par ce subterfuge, la nature aérienne de ces divinités. Cet effet est encore renforcé par la juxtaposition de petits motifs blancs sur un fond monochrome. Les couleurs sont posées à plat, sans effet de relief voulu. Peu de techniques de mains sont déployées. L’extrême habileté avec laquelle ces trois personnages semblent flotter contraste avec la simplicité du trait.

De gauche à droite: Yaksi, Yaksa et Gandharva
Variation de style pour les trois entités 

Les bouches au sourire grimaçant laissent apparaître des dents, les yeux écarquillés sont injectés, et l’expression bien que naïve suggère l’avidité et la soif de sang. Le corps et le visage de Yaksi sont de couleur rouge par référence à sa nature d’ogresse et de dévoreuse d’enfants. On sait que le rouge a une nature ambivalente. Le sang tantôt associé à la vitalité et à la fertilité symbolise également la lutte, le feu intérieur, la pollution et la mort. Les yaksa, génies et serviteurs de Shiva, sont également des ogres. Les gandharva invoqués pour la prospérité possèdent également une force sexuelle sans limite. Nous pouvons supposer que le ventre coloré rouge est peut-être associé à l’énergie sexuelle alors que le jaune rappelle leur nature plutôt bénéfique. Rappelons que le curcuma est une racine de bon augure et qu’en dehors de ses propriétés bactéricides, sa couleur jaune confère aux femmes qui s’en frottent le visage une luminosité digne du soleil.

Accueillir les divinités pour mieux les chasser

Une fois la peinture achevée, les Kaniyan consacrent Ganesha et Sarasvati. Pendant ce temps, la femme concernée avance vers la peinture, une lampe à huile dans les mains et tourne trois fois autour du kalam avant de s’asseoir face aux trois divinités.

L'officiant principal accueille en chantant les divinités Gandharva, Yaksa et Yaksi. Cette première partie est suivie par des incantations adressées aux ancêtres et à toutes les parentes : sœurs, mère et aïeule de la future mère afin d’obtenir leurs bénédictions. Le rite se poursuit avec d’autres chants inspirés par les Purana et l'épopée du Mahabharata. Il y aura également des chants de conjuration ainsi que des hymnes à Kâmadeva, le dieu Amour.

Pendant ce temps, il arrive que la « possédée » entre en transes et communique sous les injonctions du médium le nom de l’incube. Sous l’influence d’un démon particulièrement mauvais, elle peut réclamer de la viande, de l’alcool et du sang. Quelquefois, elle saisira un coq et lui mordra le cou.  L’officiant prend une torche qu’il fait tournoyer autour de la victime. Puis les poudres du kalam sont ramassées et jetées dans l’eau ; ce qui est le cas pour tous les exorcismes.


L'article est tiré de mon livre "Kolam et Kalam, peintures rituelles éphémères de l'Inde du Sud", Editions Geuthner, Paris 2010.