Kalam du Kérala, "Honorer les dieux-serpents" — partie 1

En Inde, les serpents sont l’objet d’une grande vénération et occupent une place privilégiée dans les légendes. Gardiens des trésors souterrains, génies des eaux et faiseurs de pluie, ils sont élevés au statut de divinités.

Kalam du Kérala, "Honorer les dieux-serpents" — partie 1

En Inde, les serpents sont l’objet d’une grande vénération et occupent une place privilégiée dans les légendes hindoues, bouddhistes ou jaïnes. Gardiens des trésors souterrains, génies des eaux et faiseurs de pluie, ils sont élevés au statut de divinités. Le long des routes du Tamil-Nadu, il n’est pas rare d’apercevoir, entre les racines des arbres, des pierres sculptées représentant des serpents à tête humaine avec le capuchon d’un cobra.

Autel dédié aux dieux-serpents sur une route au Tamil-Nadu
Autel dédié aux dieux-serpents dans une rue de Chennai, Tamil-Nadu

Culte des serpents au Kérala

Le Kérala à la végétation luxuriante abrite un grand nombre de reptiles, et dans l’imaginaire kéralais, on ne tue pas un serpent (sarppam) car il est le messager des nâga considérés comme des serpents mythiques et divins, et donc accessibles aux prières des humains.  

Selon une légende, Parasurama (sixième incarnation du dieu Vishnou) reçut une hache magique des mains du dieu Shiva, pour combattre les guerriers Ksatriya arrogants qui humiliaient les brahmanes. Lorsqu’enfin la victoire fut acquise, il décida d’installer les premières colonies mais n'ayant pas de terre à leur offrir, il recut une hache de Varuna, le dieu de la mer. Ce dernier lui octroya le pouvoir de faire surgir une terre avec sa hache et c’est ainsi que le Kérala émergea des flots. Les brahmanes qui s’y étaient installés trouvaient la terre difficile à habiter tant elle était aride et salée. Le peuple des nâga, habitants des mondes souterrains, s’en accommoda et s’y installa. Mais lorsque les brahmanes décidèrent finalement d’y habiter, un combat sans merci les opposa au peuple nâga. Parasurama dut intervenir et intima à ses guerriers l’ordre de consacrer aux serpents un emplacement dans leur propriété que l’on connaît aujourd’hui encore sous le nom de sarppakâvu.

Certains temples possèdent un sanctuaire à ciel ouvert dirigé est-ouest, un bosquet très luxuriant où herbes folles et lianes s’entremêlent et montent à l’assaut des arbres environnants. Aucun débroussaillage n’y est entrepris par respect des serpents. L’endroit renferme des pierres sculptées représentant des nâga ou tout simplement des pierres dressées. La vénération de ces derniers apporte bien-être et prospérité à la famille et ses descendants.

Allée dans le temple de Mannarasala 
Un sanctuaire des serpents appelé sarppakâvu
Allée dans le temple de Mannarasala

La colère et la malédiction des nâga se manifestent quand le sanctuaire est laissé à l’abandon ou détruit, lorsque les rites quotidiens sont négligés. Les conséquences de cette imprécation sont multiples et peuvent toucher la prospérité de la famille directe ou indirecte, ainsi que sa descendance. Les maux les plus courants sont la stérilité, la mort infantile, la pauvreté, la cécité, la lèpre ou autres maladies de peau.

Les Pulluvan, chantres du peuple Nâga

Les Pulluvan sont des bardes itinérants et spécialistes du culte des nâga appelés aussi sarppam ou pambu au Kérala. Jusqu’à une époque récente, ils étaient considérés comme des intouchables de par leurs attributions. Avec l’aide de leurs femmes, les Pulluvatti, ils ont la charge héréditaire de chanter quotidiennement dans les temples consacrés aux serpents afin de les apaiser et d’obtenir leur bénédiction. Par ailleurs, ils proposent leurs services aux familles et se déplacent de maison en maison pour chanter et organiser divers rituels.

Une légende raconte que c'est Shiva ainsi que d'autres dieux qui leur firent don de plusieurs instruments : la vîna ou une vièle monocorde, le pulluvan-kutam, littéralement "pot des Pulluvan" et des petites cymbales de bronze pour marquer le rythme.  

Un couple Pulluvan invité à chanter dans une famille. 

Du lait et des chants pour pacifier les serpents

L’offrande la plus commune s’appelle nurum pâlum : elle consiste à préparer dans un plat en métal un mélange de farine de riz, de poudre de curcuma et de lait de vache. Cette nourriture est déposée aux pieds des stèles ophidiennes décorées pour l'occasion. Certains membres de la communauté sont attachés à vie au service d’un temple. Pendant la période des fenaisons (Onam), les chants ont pour but de pacifier les serpents et sont en relation avec la légende de roi légendaire Mahabali, les jeux et gestes du dieu Krishna, les noix de coco et la récolte du riz.

Décoration des stèles et offrandes diverses.

Des temples pour les Nâga

Il existe quatre grands temples au Kérala dédiés aux serpents, mais le plus important est celui de Mannarasala à Haripad dans le district d’Alleppey. Des centaines de nâga sculptés dans le granit se dressent au milieu d’un bosquet luxuriant. Le sanctuaire abrite deux idoles, Nâgarâja (le roi des serpents) et Sarppayaksi (la reine des serpents).

Aujourd’hui encore, la figure centrale des cérémonies dans le temple est une prêtresse appelée Valiyamma. Selon les instructions de l’aïeul mythique Nâgarâja, seule une descendante de la Mère originelle peut consacrer les lieux. À la mort de celle-ci, la place revient à la plus âgée des femmes brahmanes. Lorsqu’elle assume ce rôle, elle fait vœu de célibat et vit comme une ermite près du sanctuaire dans des appartements séparés. À ce jour, c’est Umadevi qui remplace Savitri Antarjjanam morte il y a quelques années. Lorsqu’elle ne conduit pas les nombreuses cérémonies quotidiennes, elle apparaît aux dévots venus rendre visite au temple. À certaines heures de la journée, ces derniers cheminent en file indienne et s’arrêtent quelques instants pour contempler et obtenir la bénédiction de la « Mère ».  Elle écoute les prières de chacun et, dans un murmure à peine audible, donne ses instructions.

Le temple célèbre en grandes pompes plusieurs dates dans l’année et chaque mois, les hommes brahmanes Namputiri dessinent un kalam représentant Nâgaraja. Le corps divin a la forme d’un carré divisé en 81 cases et les quatre angles de la figure forment des anneaux. Chaque division reçoit des offrandes de nourriture. Deux des angles du carré se prolongent, l’un par la queue, l’autre par le capuchon déployé d’un nâga.

La prêtresse portant les idoles Nâga 
Les prêtres brahmanes du temple ont dessiné Nâgaraja, le roi des serpents
Représentation symbolique du roi des serpents Nâgaraja et rituel d'offrandes 

L'article est extrait de mon livre "Kolam et Kalam, peintures rituelles éphémères de l'Inde du Sud", Editions Geuthner, Paris 2010.


L'article est tiré de mon livre "Kolam et Kalam, peintures rituelles éphémères de l'Inde du Sud", Editions Geuthner, Paris 2010.


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