Kalam du Kérala, "Peindre les dieux-serpents" — partie 3
Les huit serpents mythiques
Les mois malayalam de kanni (mi-septembre, mi-octobre), tulam (mi-octobre, mi-novembre), khumbam (mi-février, mi-mars) et metam (mi-avril, mi-mai) sont considérés comme des mois de bon augure pour conduire le rituel Sarppam thullal littéralement la "danse des serpents". Les familles concernées, font ériger dans le sanctuaire, une structure temporaire qui est décorée de feuilles de manguier, de Pipal (Ficus Religiosa) ainsi que des franges de feuilles de cocotier (kurutola). Dans les rituels Sarppam thullal, les représentations des dieux-serpents varient selon qu’ils figurent dans une cérémonie d’un, de cinq ou de sept jours. Lorsque le rite dure une journée, seul le kalam du matin est unicolore, les deux autres possèdent cinq couleurs. Au-delà d’une journée de rituel, les kalam sont invariablement blancs le matin, jaunes à midi et de cinq couleurs pour ceux du soir.
Au fil de la journée, on assiste à une multiplication des anneaux ainsi qu’un accroissement des couleurs. Ces deux aspects, d’après les Pulluvan, symbolisent l’ascension et le rayonnement de l’ascèse entreprise par les Nâga pour veiller sur l’humanité.
Nâgaraja, le "Roi Serpent" figure toujours en premier, quel que soit le nombre de jours de rituels. Lorsque le rite dure une seule journée, il est représenté lové dans l'arbre Pipal (Ficus Religiosa) appelé figuier des pagodes. Si le rite dure trois jours, les anneaux s'inscrivent dans un carré.
Paranâga est une déesse-serpent, lovée autour d'un palmier Pana (Borassus Flabelliformis). De part et d’autre de sa tête, des ailes lui donnent l’apparence d’un dragon. c'est une des plus spectaculaires peintures au sol.
Le kalam le plus étonnant qui clôture le rituel est celui qui représente les huit Nâga ou Ashtanâga. Il est élaboré autour d’un monticule de poudre verte, symbole d’une termitière et lieu de prédilection des serpents. Selon les Pulluvan, les huit serpents mythiques soutiennent le monde et méditent pour le bien de l’humanité. À l’instar de l’astre solaire, ils figurent l’origine, le principe de vie et la fin de toute manifestation.
Kalampuja ou l'offrande au kalam
À chaque fois qu’un kalam est terminé, l’officiant Pulluvan procède à certains rites. Avant de placer la nourriture devant le Nâga, l’officiant aura soin de dessiner la ou les langues bifides sur les têtes du serpent invoqué.
Kalampâttum ou chanter le kalam
Durant l’offrande de nourriture, les autres Pulluvan chantent en s’accompagnant de leurs instruments. Les chants proviennent de diverses sources, le Nâgastuti par exemple, chante les louanges des serpents :
« Ô seigneurs des hordes de serpents, qui vivez par le monde, pour tous les habitants de la terre qui de tout cœur prient Nâgaraja (le Roi-Serpent). Que le serpent Maninâga règne ô Dieu ! Que le serpent Kuzhinâga règne aussi ! Que le serpent Karinâga règne, règne ! Que le serpent Paranâga règne ! Que le serpent Pâtâla règne, règne ! Pour honorer les huit grands serpents, prières et offrandes, versez en pluie l’eau d’une jeune noix de coco et du lait. Donnez (à manger) le mélange de riz et de lait. La vîna, le bruit sourd du kutam et les cymbales honorent les serpents qui satisfaits, déversent leurs bénédictions. »
Les chants et la danse de possession succèdent aux chants de louange :
« Pour satisfaire les serpents, offrons de la farine de riz mélangée à du lait, nous donnerons aux prêtresses des fleurs d’aréquier. Il nous faut placer en sept endroits la farine de riz et du lait pour les sept sages. Puis le kalam sera effacé lorsque l’officiant chante et danse. Si vous adorez de cette manière, rien ne viendra affliger votre famille. »
La cérémonie se poursuit alors avec l'officiant principal qui donne un bouquet des fleurs de l'aréquier à chacune des femmes choisies qui va s’asseoir sur le kalam. Les musiciens appellent alors les Nâga à se manifester au travers des prêtresses.
Chant après chant, elles commencent à trembler, projettent la tête d'avant en arrière et rampent sur le dessin qu’elles effacent peu à peu. Les chants s’arrêtent dès lors qu’elles manifestent ces signes de possession. L’officiant principal demande alors aux Nâga de se présenter et d’énoncer leurs requêtes. Les Pulluvan leur rendent un dernier hommage et retournent chez eux.
Lors de mes recherches et documentation au Kérala, j'ai eu la permission de filmer l'élaboration graphique de peintures Nâga. Pour chaque dieu-serpent, trois formes différentes (matin, midi et soir) comme lors d'un rituel. Voici les vidéos de cinq dieux serpents : Karinâgam, Kuzhinâgam, Maninâgam, Paranâgam et Asthanâgam. Au nord du Kérala, Il existe d'autres styles de peintures des dieux-serpents et des variations dans les rituels. Les fresques Nâga de cet article ont été réalisées par Mavelikara K. Gopinathan et des membres de sa famille qui résident près de Mannarasala dans le sud du Kérala.
L'article est tiré de mon livre "Kolam et Kalam, peintures rituelles éphémères de l'Inde du Sud", Editions Geuthner, Paris 2010.
L'article est tiré de mon livre "Kolam et Kalam, peintures rituelles éphémères de l'Inde du Sud", Editions Geuthner, Paris 2010.
Autres articles :
- Partie 1 : "Honorer les dieux-serpents"
- Partie 2 : "Convier les dieux-serpents"