Kolam pour Navaratri, "neuf nuits" pour célébrer la Déesse

Navaratri, littéralement "Les neuf nuits" célèbre avec ferveur les manifestations de la force créatrice féminine appelée Shakti Devi. Ce festival qui porte différents noms selon les régions de l'Inde dure neuf nuits et dix jours et se déroule durant le mois tamoul de Purattaci (mi-septembre, mi-octobre). Au Karnataka, Navaratri est connu sous le nom de Dasara et Bathukamma Panduga au Telangana (un nouvel état de l'Andhra Pradesh créé en 2014). Chaque jour on honore un certain aspect de la Déesse et au Tamil-Nadu, elle est vénérée comme Durga, Lakshmi et Sarasvati. Navaratri se divise en séries de trois jours. Les trois premières nuits, on vénère Durga, la déesse guerrière. Une légende raconte comment elle a combattu l'armée du démon-buffle Mahisha durant neuf nuits, pour le tuer au dixième jour. Cette bataille symbolise la victoire de la lumière sur les ténèbres et l'ignorance.

La déesse Durga terrassant le démon-buffle Mahisha, temple de Chidambaram, Tamil-Nadu
Une peinture éphémère kalam du Kérala représentant la déesse Bhadrakali terrassant le démon 

Les visages de la Déesse sont nombreux car elle est à la fois une et multiple. Une, lorsqu'elle incarne l'énergie primordiale qui a créé l'univers car elle porte en elle les pouvoirs conjugués des dieux Vishnou, Shiva et Brahma. Multiple lorsqu'elle rétablit l'équilibre du monde en combattant les forces du chaos. En réponse à l'asura Shumba qui se moque de la présence d'autres déesses sur le champ de bataille, elle rétorque :

« De quelles autres parles-tu ? Où est Ma seconde ? Je suis seule au monde ! Vois comme elles se résorbent en Moi, celles-ci qui ne sont que les manifestations extérieures de Ma propre puissance !

Jean Varenne, Célébration de la Grande Déesse, Devi-Mahatmya, Editions les Belles Lettres, 1975

Les dix mains de la déesse Durga tiennent dix armes divines, reçues comme cadeaux et bénédictions des autres dieux. Rangoli par Vandana Karatagi

Au Bengale et plus particulièrement à Kolkata, ce sont les quatre derniers jours de Navaratri qui sont importants et célébrés sous le nom de « Durga puja ». Des sculptures de la déesse, créées dans le quartier de Kumartuli sont achetées et installées dans des pavillons éphémères sponsorisés par des familles, des associations ou des entreprises.

Création des sculptures de la Déesse dans le quartier de Kumartuli à Kolkata 
La déesse Durga avec un lion pour monture (région du Bengale). Don au musée des Arts Asiatiques de Nice. Les ornementations ont été créées en sculptant le sholapit ou liège végétal. C'est une matière végétale spongieuse blanc laiteux de l'espèce Aeschynomene.
Rangoli de la déesse guerrière Durga par Suguna Kannan

Au Tamil-Nadu, les trois nuits suivantes sont dédiées à la déesse Lakshmi. Elle incarne beauté, abondance, prospérité et bonheur conjugal. Flanquée de deux éléphants déversant sur elle des pièces d’or, Lakshmi est assise ou debout sur un lotus tenant dans chaque main un lotus. Les femmes lui adressent quotidiennement prières et louanges afin qu’elle écarte du foyer familial la maladie, la pauvreté et l’infortune.

Lakshmi sur le fronton d'un temple de campagne
Poster de la déesse Lakshmi par le peintre Ravi Varma

Dans les représentations kolam, les images anthropomorphes de la déesse sont rares et on préfère l'invoquer par des diagrammes géométriques. Les plus connus sont Aishwarya kolam ou kolam d'abondance, Hridaya kamala kolam ou kolam du lotus du cœur. Le Sahasradala kolam ou lotus aux mille pétales peut également être dessiné.

Aishwarya kolam ou kolam d'abondance dédié à la déesse Lakshmi par Pratheeba Ravichandran
Aishwarya kolam ou kolam d'abondance dédié à la déesse Lakshmi par Kasturi. V

Les trois derniers jours consacrent Sarasvati, la déesse de la parole, mère des écritures et de la connaissance, des sciences et des arts. Pour signifier sa présence au sein du foyer, on dessine plutôt ses attributs (la vina, un rosaire composé des lettres de l'alphabet sanskrit, un livre) que son image.

Kolam de la déesse Sarasvati accompagnée d'un paon par Vandana Karatagi
Ouverture des pupilles pour une statue de la déesse Sarasvati à Kolkata 
Kolam de l'instrument à cordes appelé vina, un attribut de la déesse Sarasvati. Kolam par Kasturi. V
"J'ai divisé le kolam en trois parties pour les trois formes de la Déesse. Durga est symbolisée par les arts martiaux, Lakshmi par ses huit qualités et Sarasvati par des instruments de musique et des livres". Kolam réalisé par Srividhya Ganesan

"Ayudhya puja", honorer les outils

La consécration des instruments de travail fait partie intégrante du festival Navaratri. On honore les professions et les outils qui s'y rapportent afin ces derniers soient plus performants. L'Inde agricole consacre les socs de charrue, les jougs des buffles mais aussi les tracteurs. Les soldats et les pratiquants d’arts martiaux glorifient leurs armes. Les étudiants rendent hommage aux cahiers, aux livres et plus récemment aux ordinateurs. Les musiciens consacrent leurs instruments et les danseuses, les bracelets de grelots qui enserrent leurs chevilles. Dans les villes, les chauffeurs de taxis décorent leur véhicule de guirlandes de fleurs et marquent le volant de pâte de santal.

Consécration des socs de charrue 

Bommai golu, des santons hindous

Pendant toute la durée du festival Navaratri et en particulier dans les États de l'Andhra Pradesh, du Karnataka et du Tamil Nadu, il est une tradition qui consiste à disposer des figurines sur une structure en forme d'escalier un peu à la manière des santons de Provence que l’on intègre à la crèche de Noël. Après avoir recouvert les marches de tissu, on y place les statues des dieux et des déesses et des figurines diverses, glanées année après année ou transmises de génération en génération.

Confectionner des guirlandes de fleurs comme offrandes
Divinités diverses en terre cuite ou en plastique pour orner l'escalier de présentation

Ces expositions thématiques, mettent en scène des divinités du panthéon hindou, des épisodes des grandes épopées, des légendes locales, des métiers du quotidien, des scènes traditionnelles de mariage ou de fiançailles etc. On trouve également des poupées représentant des hommes et des femmes qui ont façonné l'histoire de l'Inde, (Abdul Kalam, Vivekananda, Bouddha, Gandhi etc.). Les familles et les voisins se rendent visite pour admirer les installations. Lors de ces échanges, on chante des versets du Devi Mahatmyam (Célébration de la Grande Déesse) ou du Lalitasaharanamam (litanie des mille noms de Lalita) et on rend hommage aux divinités. Après le rituel d'adoration, les aliments préparés pour la déesse sont partagés avec les invités.

Un clin d'oeil à la période covid. Crédit photo Ksiva71

Navaratri est également une période de défis créatifs.  En 2019, Ramya Mani, une habitante de Chennai a choisi de recréer en papier la rue et le célèbre concours de kolam du festival de Mylapore qui se tient chaque année en janvier dans une rue près du temple de Kapaleeswarar.  Une initiative originale qui a remporté un vif succès lors des visites du voisinage.

Création en papier de Ramya Mani

Bathukamma au Télangana

Au Télangana, Navaratri est célébré sous le nom de Bathukamma Panduga, ce qui signifie "Reviens à la vie, Mère". Les neuf jours sont dédiés à la déesse Sati ; première épouse du dieu Shiva qui s'est immolée dans le feu sacrificiel de son père Daksha et qui selon la légende est revenue sous l’aspect de la déesse Parvati.  À cette occasion, les femmes confectionnent d’imposantes offrandes florales coniques. Pour cela, elles disposent sur une planche de bois ou un plateau en cuivre des fleurs variées, en couches successives qui s’élèvent en une série de cercles concentriques jusqu’à ressembler à une pyramide. Le dernier jour de Navaratri, le Bathukamma est emmené en procession au son des tambours et de la musique, avant d'être immergé dans un plan d'eau.

Pyramide de fleurs Bathukamma comme offrande. Rangoli par Swarna Vasi

Livres

  • Hymnes à la Déesse. Traduit du sanskrit par Ushâ P. Shâstri et Nicole Ménant. Iconographie commentée par le Dr. C. B. Pandey. Éditions Le Soleil Noir, Paris, 1980.
  • Célébration de la Grande Déesse, Devî-Mâhâtmya, Jean Varenne, Éditions les Belles Lettres, 1975.