Chita de l'Odisha, "Bhubaneswar, Art et artisanat" — partie 1
Après trois ans de confinement passés à dessiner, écrire, éditer des vidéos et des photos des précédents voyages, la frustration a laissé place à la joie de partir à nouveau en Inde. Alors que la pandémie s'éloignait peu à peu, j'avais planifié de documenter d'autres formes de peintures murales et de sols en Inde et à ma grande surprise, on m'a proposé un voyage de recherche en Odisha (anciennement Orissa). Je dois ce cadeau généreux au parrainage de Stephen Huyler, un ami américain que j'admire depuis toujours pour ses recherches approfondies et sa documentation sur les arts rituels et sacrés de l’Inde. Il a mis à ma disposition un guide local qui a été pendant de nombreuses années son coordinateur pour les voyages culturels qu'il organisait en Inde.
D'aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours été attirée par l'Odisha (Orissa) et sa danse classique connue sous le nom d'Odissi. Si je n'avais pas entrepris l'étude du Kathakali au Kérala, j'aurais étudié ce style de danse qui se définit par des ondulations subtiles du torse et des bras, un déhanchement gracieux et des pas complexes.
Plus que le costume, c'est la coiffe exquise appelée tahia qui me captive. Les fleurs qui la composent sont sculptées dans le sholapith, la tige blanche et poreuse d'une plante aquatique sauvage (Aeschynomene aspera) également connue sous le nom d'ivoire végétal. Au Bengale, cette plante utilisée à la fois pour les coiffes des mariés (hommes et femmes) et pour les ornements de la déesse Durga pendant le festival d'automne est considérée comme de bon augure. En Orissa, on raconte que les parures des idoles du temple de Jagannath sont réalisées avec le sholapith depuis le 11e siècle.
La danse Odissi est également associée à un épisode joyeux de mes études au Kérala. Il y a de nombreuses années, j'ai eu le privilège d'assister aux répétitions de Sanjukta Panigrahi, la grande artiste de danse Odissi et disciple du légendaire interprète Kelucharan Mohapatra. Accompagnée de son mari Raghunath Panigrahi, elle avait été invitée à danser pour une cérémonie religieuse et j'avais proposé de l'assister durant son court séjour. Au moment de partir, elle déposa dans ma main une exquise paire de boucles d'oreilles en filigrane, qui est restée parmi mes préférées. Des années plus tard, il y a eu cet ornement pour les cheveux en métal blanc acheté pour quelques euros dans un vide-grenier ici en France. Le travail en filigrane était bien celui d'un bijou d'Odisha, mais la facture inhabituelle m’orientait vers une origine tribale, mais de quelle communauté ? Ce n'est qu'au cours de ce voyage, lorsque je visitais le State Tribal Museum de Bhubaneswar, que j'ai enfin obtenu une réponse. Dès l’entrée, dans la première salle d'exposition, j'aperçus dans une vitrine, le bijou en forme de coeur sur le chignon d'un mannequin avec l’étiquette suivante : "Épingle à cheveux (Sudbaha), communauté Santal, Khunta, Mayurbhanj".
J'ai toujours eu un faible pour l'artisanat indien, avec une préférence pour les artistes de l'Odisha. Les feuilles de palmier gravées et peintes, les peintures colorées appelées patachitra sur tissu, soie ou papier, connues pour leurs récits mythologiques et en particulier l'histoire du temple de Jagannath et de ses divinités, tout cela me fascinait.
J'avais déjà acheté durant mes voyages précédents, des peintures et des feuilles de palmier gravées lors de foires artisanales ou au bazar du Dakshina Chitra Museum à Chennai et mes dernières acquisitions de tableaux l'ont été pendant la pandémie. Le confinement obligatoire et l'absence de touristes avaient paralysé la vie économique de l’Inde comme partout ailleurs dans le monde et les artistes traditionnels avaient perdu une source importante de revenus. Grâce aux réseaux sociaux, certains ont pu vendre et subvenir partiellement à leurs besoins. Il est intéressant de noter que dans le sillage de la mondialisation, passant d'une tradition collective à une expression plus individuelle, un certain nombre d'artistes et d'artisans ont fait évoluer les formes traditionnelles vers un nouveau style narratif qui intègre les préoccupations du monde contemporain. Les artistes indiens utilisent depuis longtemps leur art pour diffuser des messages sociaux et certains d'entre eux ont produit des séries de peintures dans leur style traditionnel durant le confinement pour sensibiliser le public à la distanciation sociale et à l'hygiène afin d'éviter la propagation du coronavirus. Apindra Swain, originaire du village de Raghurajpur, dans le district de Puri en Odisha, est l'un d'entre eux. Sa créativité et sa ténacité lui ont permis d'échapper aux difficultés financières et lui ont valu une certaine reconnaissance internationale.
Les manuscrits en feuilles de palmier étaient le support d'écriture ou de dessin le plus important en Asie et j'ai toujours été fascinée par la fabrication de ces manuscrits illustrés en forme d'accordéon et gravés à l'aide d'un stylet. L'impression sur feuilles de palmier connue sous le nom de talapatra chitra dans la langue Oriya, est une forme d'art populaire très ancienne. Les feuilles de palmier sont coupées à la taille souhaitée, puis les bandes sont cousues ensemble et pliées en accordéon pour former une liasse. La couture est réalisée de manière que les motifs gravés représentent l'image entière.
Les manuscrits achetés n'étaient pas en couleur mais noircis à l'aide d'une concoction de charbon de bois et d'huile appliquée et essuyée sur la surface pour en révéler les motifs incisés. Ces illustrations racontent des fables et des histoires tirées de la mythologie hindoue, revisitent la nature, les animaux et les oiseaux, et donnent vie aux thèmes érotiques. Plus récemment, les artisans ont créé des marque-pages et des cartes postales pour plaire au tourisme de masse.
Histoire à suivre...