Quand les kolam s'emparent d'une pandémie

Depuis mars 2020, les artistes de kolam et les artisans indiens ont ajouté une autre dimension aux thèmes traditionnels, interprétant la crise actuelle à la lumière de leur savoir-faire.

Quand les kolam s'emparent d'une pandémie

En Inde comme ailleurs sur terre, la pandémie a bouleversé les vies de chacun, nous plongeant dans un temps d'exception et de radicale incertitude dont nous ne connaissons ni la durée, ni l'issue. Certains parmi nous ont vécu des deuils familiaux, perdu des amis ou des collègues. Les perturbations liées au covid-19 ont impacté la vie sociale, l'économie et les systèmes éducatifs. Mais paradoxalement, la crise du coronavirus a souvent été féconde pour la création artistique. Depuis mars 2020, les artistes de kolam et les artisans indiens ont ajouté une autre dimension aux thèmes traditionnels, interprétant la crise actuelle à la lumière de leur savoir-faire.

Le monde confronté au coronavirus. Rangoli par Deepa Ramki

Pour la première fois depuis des années, je ne puis me rendre en Inde et c'est par le biais des réseaux sociaux, que les femmes partagent avec moi leurs créations. Traditionnellement, les peintures éphémères kolam sont liées au calendrier religieux mais depuis quelques décennies, on observe une mutation profonde de la société tamoule. Le kolam, qui exaltait les vertus de la femme au foyer voit son image se métamorphoser. Les femmes deviennent le lien précieux entre les coutumes ancestrales et la modernité. Elles voyagent, prennent conscience de la mondialisation et passent en revue les réalisations bénéfiques ainsi que les aléas écologiques et économiques du monde qu'elles traduisent dans leurs créations graphiques.

Kolam, Rangoli et coronavirus

Les frontières sont fermées pour contenir le virus et les kolam peinent à s'exprimer à l'extérieur de la maison pour cause de confinement. Les femmes dessinent chez elle, à même le carrelage ou sur un revêtement de sol en pvc. Aux dessins habituels, elles ont créé des images sur le thème des gestes barrières contre le virus; port du masque, lavage des mains et distanciation physique. Des images de poudre qu'elles partagent sur les réseaux sociaux et qui ont pour vocation d'interpeller et d'informer en se substituant aux mots.  

"Stay home, stay safe" - "Restez à la maison, protégez vous". Rangoli par Bhuvaneswari R.
" Portez votre masque", kolam par Meenakshi Devaraj
"Maintenir la distanciation physique". Rangoli par Suguna Kannan
Un an plus tard, les kolam encouragent la vaccination. Rangoli par Meenakshi V.
"Va-t'en corona, va-t'en", un virus qui prend la forme d'un démon dévorant la terre et détruit par le vaccin administré par une combattante. Rangoli par Deepa Ramki

Depuis avril, l'Inde est terrassée par une deuxième vague, alimentée par l'apparition d'un variant plus contagieux. D'autre raisons sont également invoquées : le déconfinement prématuré, les rassemblements politiques et religieux et la défaillance de la campagne de vaccination. À l'heure actuelle, les hôpitaux manquent d'oxygène et les crématoriums ne suivent plus la cadence. Certains rangoli reflètent le désespoir qui s'est emparé d'un pays submergé par la crise.

Rangoli par Meenakshi V.

Le premier ministre de l'Inde, Narendra Modi avait véhiculé l’idée d’une exception indienne : peu de contaminations de Covid-19 et peu de morts. Mais récemment, l'image de sage et d’homme fort, s'est effritée face à la deuxième vague qui submerge le pays. Dans ce rangoli, le dirigeant à la taille imposante et secondé d'hommes forts referment la porte de l'Inde sur les virus.

Rangoli par Meenakshi V.

Un corps médical déifié ou héroïsé

Comme partout dans le monde, le corps médical est en première ligne pour combattre le Covid-19. Infirmiers, infirmières, aides-soignants et médecins sont les nouveaux héros ou divinités et pour les remercier, de nombreux rangoli soulignent leur bravoure. Ils revêtent alors le costume des super héros ou s'inspirent de personnages des épopées religieuses hindoues.

"Super docteur". Rangoli par Gandhimati S.
De la même manière que le dieu Krishna soulève la montagne Govardhana pour protéger son peuple d'une tempête, le corps médical porte à bout de bras les malades du covid. Rangoli par Gandhimati S.

L'Inde invoque également ses dieux pour détruire le virus qui prend souvent la forme d'un démon. L'image d'un trident prêt à frapper ce qui semble être un virus, s'inspire du mythe de la déesse Durga qui a été chargée par les dieux, de combattre le redoutable démon Mahisha qui menaçe la paix.  D’un pied, elle s’appuie sur la bête tout en la transperçant avec le trident de Shiva et c'est ainsi que la déesse libére l’univers des ténèbres.

Une déesse appelée Corona amma ou Corona Devi

Nombreuses sont les formes de la Déesse en Inde ; vierge ou épouse, guerrière, gardienne des Orients, démone ou ogresse repoussantes et violentes, végétarienne ou carnivore, ou encore sous les traits géométriques du Sri Yantra, elles sont présentes à tous les niveaux de l’adoration et ont traversé les âges incarnant la diversité des cultes de l’Hindouisme. La déesse est également liée au sol et c’est en qualité de gardienne des territoires qui préside à la santé, au bien-être et à la prospérité des villageois d’une localité qu’elle suscite le plus grand nombre de cultes dans le Sud de l’Inde. Les déesses locales telles que Mariamman sont vénérées depuis des siècles lors des nombreuses épidémies et guérissent le choléra, la variole et la varicelle. Son homologue en Inde du Nord est Shitala « la froide », une référence à sa capacité à refroidir la fièvre. Maintenant que le monde est aux prises avec une nouvelle maladie, certaines personnes vénèrent Corona Devi pour conjurer la pandémie.

Sanctuaire de rue au Tamil-Nadu, la Déesse Corona est installée sur la syllabe sacrée Om écrite en tamoul

Citoyens et police municipale se donnent la main pour sensibiliser le public

La créativité en Inde prend des formes très variées ; il peut s'agir d'une réparation ingénieuse, de l’utilisation de matériaux de récupération ou une solution qui contourne les règles. Combien de photos de fruits, de légumes ou d’objets joliment empilés ai-je prises pendant mes voyages ? Partout, la créativité embellit le quotidien.  Il en va de même pour les moyens mis en oeuvre pour éduquer une population pendant la pandémie. À Chennai, un groupe de citoyens a dessiné un rangoli au milieu d'un carrefour, remplaçant la traditionnelle figure du dieu de la mort Yama chevauchant un buffle par un coronavirus personnifié encourageant les habitants à rester à la maison.

Peintures et sculptures du démon Corona au Tamil-Nadu
À Calcutta, pour éduquer une population qui ne respecte pas les gestes barrières, Abhijit Sadhukhan se déguise en Yama, le dieu de la mort.

L'Inde a une longue tradition du théâtre de rue, de danse et d'arts visuels. Les marionnettes, les récits sur rouleaux peints et les théâtres de masques sont présents dans de nombreuses régions et ont favorisé autant la circulation des épopées et des textes religieux que des conseils aux villageois en matière de morale, d'éducation sexuelle, de santé et de sagesse. Pandémie oblige, la police a eu recours à des chorégraphies de rue pour sensibiliser le public au port du masque et à la distanciation physique. La police de Bangalore a imaginé une chorégraphie avec le port de casques transformés en virus. Au Kérala, une autre danse explique les bienfaits du lavage des mains.