Fête de Panguni au temple de Kapaleeswarar
En Inde, Les chars de procession (ratha en sanskrit, ter en tamoul) font partie intégrante de la vie publique et des cérémonies des temples. Aussi est-il normal de trouver dans le répertoire des kolam un grand nombre de motifs de chars dédiés aux dieux et déesses du panthéon hindou.
Le temple de Kapaleeshwarar niché au cœur du quartier de Mylapore, à Chennai, est l'un des sanctuaires les plus populaires dédiés au dieu Shiva. Ce qui surprend au Tamil-Nadu, ce sont les entrées de temple monumentales appelées gopuram et construites en direction des quatre points cardinaux. Lorsque je regarde ces tours vertigineuses ornées de figures en stuc multicolores, j'imagine ce à quoi pouvait ressembler la statuaire polychrome des temples grecs et romains. L'image de l'Antiquité classique drapée de marbre blanc immaculé est si ancrée dans l'imaginaire occidental qu'il est difficile d'imaginer un passé aussi coloré que ces statues de dieux, de déesses et de héros de l'Inde du Sud. Les personnages aux couleurs vives invitent les croyants à s'imprégner des épisodes de la mythologie hindoue. Ce catéchisme en images rappelle les frises des calvaires bretons et notamment celles de Tronoën dans le Finistère. Ces dernières ornées de personnages de l’évangile furent conçues par les religieux comme une bande dessinée destinée à éduquer les fidèles.
En dehors du temple, ce quartier multiculturel de Chennai est réputé pour ses bijouteries d'or et d'argent, pour ses magasins d'articles votifs, d'artisanat et d'accessoires de danse pour le Bharata Natyam. Durant le mois de décembre, les passionnés et amateurs de danse et de musique carnatique du monde entier se donnent rendez-vous dans une des nombreuses salles de spectacles qui ne désemplissent jamais.
Entre l’étang sacré et le temple, j'aime me promener dans la ruelle bondée de East Tank Square où les diseurs de bonne aventure et leurs perroquets verts apostrophent les promeneurs. L’oiseau sort de sa cage et choisit une à une les cartes de votre destin. Ces dernières représentent des divinités du panthéon hindou sans oublier Jésus et Allah. Un peu plus loin, des chiromanciennes examinent attentivement du bout de leur baguette, les lignes et les monts de votre main. Psalmodiant des formules incantatoires, elles dévoilent votre avenir et conseillent remèdes et pèlerinages pour contrer le mauvais œil et l'adversité.
Au bout de la ruelle, des femmes de la communauté "Nari Kuravar", vêtues d'une jupe et d'un demi-sari, vendent des colliers de perles de verre aux touristes et aux femmes venues se recueillir au temple.
Guidée par les effluves émanant des échoppes de fleurs, je débouche dans une autre ruelle qui mène droit à l’entrée principale du temple. C’est ici que des hommes confectionnent des guirlandes de jasmin, de roses entremêlées des feuilles trifoliées de l'arbre bilva. Trois feuilles pour rappeler le troisième œil du dieu Shiva, le Seigneur de ce temple et époux de Parvati connue ici sous le nom de Karpagambal.
Lorsque les chars du temple promènent les divinités
De tous les documentaires sur l'Inde, je me souviens d'un extrait de L'Inde fantôme réalisé en 1969 par le cinéaste français Louis Malle. Le deuxième épisode intitulé "Choses vues à Madras" (actuellement connu sous le nom de Chennai) se concentre sur divers aspects culturels et religieux de la ville. Le moment qui m'a interpellée est celui où un char de procession de plusieurs étages se déplace par la seule force des bras d'une foule enthousiaste de fidèles. Je ne savais pas qu'un jour, je serai également à Mylapore pendant le festival et que je contemplerais avec émotion ce même char rehaussé de tentures et de suspensions cylindriques décorées de motifs en appliqué. Le festival de Panguni (qui a lieu au mois de Panguni, mi-mars, mi-avril) est un festival de dix jours célébré au temple de Kapaleeswarar. Chaque année, je me joins à la foule des fidèles et bien qu'il y ait des parades quotidiennes, certains chars attirent plus que d'autres. Peu avant le début des festivités religieuses, les rues autour du sanctuaire sont le théâtre de transformations diverses. Les nids de poule de la chaussée sont rebouchés et simultanément on creuse des trous dans le macadam pour enfoncer les piliers de tous les dais installés sur les quatre rues autour du temple. Chaque jour, les processions sont accompagnées de musiciens traditionnels jouant du nagaswaram et du tavil en divers endroits.
Aussi étrange que cela puisse paraître, le Raj britannique et ses orchestres ont laissé leur empreinte sur la musique traditionnelle des temples. Cette influence est perceptible lors de la procession du Rishabha vahanam lorsque les porteurs du palanquin abritant le taureau Nandi, monture du Dieu Shiva se mettent à danser sur l'air de "For he's a jolly good fellow" (en français : « Car c'est un bon camarade »). Cette chanson très populaire dans les pays de culture anglaise et destinée à féliciter une personne en diverses occasions détonne par son incongruité dans cette atmosphère de ferveur religieuse. Le septième jour est consacré à la majestueuse procession du char du temple (ter en tamoul). Le Dieu Shiva tenant un arc est assis sur un trône en compagnie de son épouse Karpagambal et le Dieu Brahma tient les rênes des chevaux sculptés.
Le matin de la procession, les femmes du quartier se précipitent hors de chez elles pour dessiner des kolam à l'emplacement des auvents. Ici et maintenant, elles tissent à la hâte entre ciel et terre, les lignes bienveillantes pour accompagner les divinités à descendre à la rencontre des fidèles. Des dentelles blanches maintes fois répétées se déploient dans les rues et insufflent dans l'assistance un sentiment de plénitude avant que les roues du chariot divin ne dispersent les offrandes poudrées.
Face au chariot qui s'ébranle doucement, des hommes et des femmes soufflent dans des conques pour accueillir le couple divin, Shiva et Parvati. Puis, au cœur de la foule, une vague d'hommes aux pieds nus se met en mouvement. Le va et vient des corps tendus à l'extrême rappelle le jeu du "tir à la corde", si ce n'est que l'adversaire est un énorme char de procession en bois sculpté, monté sur des roues à taille humaine. Tirer, pousser et traîner le chariot autour du temple est un acte de pénitence collective et un acte de piété personnelle perçu comme une voie vers la libération spirituelle. Des milliers de dévots en liesse se rassemblent dans les rues pour faire des offrandes, prier et encourager les participants, car regarder une procession est une occasion unique d’adoration pour les fidèles qui autrefois pour des interdits de caste ou de restrictions sectaires n’étaient pas admis à l’intérieur du sanctuaire.
Kolam et chars de procession
En Inde, Les chars de procession (ratha en sanskrit, ter en tamoul) font partie intégrante de la vie publique et des cérémonies de temples. Tout temple important célèbre un festival de chars au moins une fois l'an et les divinités sont promenées sur ces sanctuaires mobiles. Aussi est-il normal de trouver dans le répertoire des kolam un grand nombre de motifs de chars dédiés aux dieux et déesses du panthéon hindou. Selon le calendrier religieux hindou et tamoul, on trouve des dessins de chars dédiés au Dieu Soleil pour la fête de Surya Pongal et Ratha Saptami, puis au Dieu Shiva pour le festival de Thiruvathirai, etc. Ce sont les symboles contenus au centre du kolam qui définissent la nature de la divinité.
Femmes dessinant des kolam durant toute la durée du festival de Panguni