Padi kolam, dessiner avec des lignes

Les padi kolam appelés également kalyana ou kanya kolam sont des diagrammes géométriques composés de lignes parallèles. Le carré central des padi kolam se confond tantôt avec le plan de base des sanctuaires tamouls tantôt avec celui des bassins sacrés des temples.

Padi kolam, dessiner avec des lignes
"D’autres femmes étirent de grandes lignes parallèles dans un mouvement plus lent, plus ample, presque coulant en effleurant le sol. Leurs formes aériennes composent un paysage abstrait qu’affectionnent particulièrement les femmes brahmanes... Ces kolam à lignes ou padi kolam, psalmodiant les pleins et les déliés des spéculations philosophiques inépuisables, tissent leurs contours autour d’un point central qui convie indubitablement le regard vers le cœur même du dessin."

Extrait de mon livre "Kolam et Kalam, peintures rituelles éphémères de l'Inde du Sud", Editions Geuthner, Paris 2010

Latha, une artiste remarquable
Ananthi, une artiste remarquable

Des padi Kolam qui multiplient leur présence

Les padi kolam littéralement "kolam marche" font référence aux marches qui entourent le bassin sacré d'un temple. Ils sont également connus sous le nom de kalyana kolam pour désigner les kolam que l'on dessine à l'endroit précis où un mariage (kalyana) sera célébré.

Padi kolam pour un mariage

Bienveillants, les padi kolam louvoient d’une pièce à l’autre de la maison, d’une surface à une autre, se posant ici et là lors des cérémonies familiales. Sous le nom de Kanya kolam, ils rendent hommage à la Déesse que l'on invoque le mardi et le vendredi sur le seuil de la maison, devant le basilic sacré, dans la cuisine ou sur l’autel familial.

Padi kolam ornant le seuil d'une maison shivaïte
Padi kolam dans un temple shivaïte

Dessiner un padi kolam

Ces kolam se construisent à partir d’un carré de lignes parallèles qui se croisent à angle droit. Pour l'agrandir, on ajoute une série de traits à partir desquels de nouvelles lignes s’inscrivent en filigrane. Sur le pourtour du dessin, lotus, conques ou autres motifs décoratifs parachèvent l’œuvre dans la plus grande liberté. À l’instar des yantra ou des mandala, quatre portes faisant face aux quatre points cardinaux et représentées de manière très stylisée, interdisent l’accès à toute force négative ou destructrice. Le centre d’un kolam à lignes n’est d’ailleurs jamais inoccupé mais marqué d’un ou de plusieurs points, de lignes diagonales, des motifs du soleil et de la lune, d’un pentagone ou d’un hexagone étoilé.

Ajouter des lignes pour agrandir le dessin
Ajouter des lignes pour agrandir le dessin
Sur le pourtour du dessin, lotus, conques ou autres motifs décoratifs parachèvent le kolam

En ce qui concerne l'esthétique de ces kolam, les avis divergent. Certaines femmes pensent qu'un padi kolam commence obligatoirement par un carré de lignes car selon elles, il est la réplique miniature du temple, du bassin sacré ou de l'enclos sacrificiel. Pour d'autres en revanche, on peut dessiner comme élément central, un cercle, une croix avec ses diagonales, un svastika ou de deux triangles superposés pour Shiva et sa parèdre.

Padi kolam à l'image d'un temple

Le carré central des padi kolam se confond tantôt avec le plan de base d'un sanctuaire tamoul ou les contours des bassins sacrés des temples. Les lignes parallèles qui délimitent les contours du kolam évoquent les nombreuses enceintes (de trois à sept) aux tours d’entrée pyramidales (gopuram). Le padi kolam sanctuaire apparaît comme la projection du temple et de ses valeurs, à savoir prestige, renommée et garant de l’ordre moral et social.

Le carré central d'un padi kolam imite le plan carré d'un temple dravidien avec ses nombreuses enceintes. Temple d'Arunachalesvara, Tiruvannamalai, Tamil-Nadu
Des tours pyramidales appelées gopuram permettent l'accès au temple et sont une caractéristique des temples dravidiens. Temple de Nataraja, Chidambaram, Tamil-Nadu
Des lignes ondulantes pour dessiner les quatre tours pyramidales autour d'un carré central

Padi kolam à l'image d'un bassin sacré

Selon certaines femmes, les lignes parallèles qui délimitent les contours du diagramme évoquent les marches du réservoir d'eau d'un temple. Le bain rituel est un geste essentiel dans la vie quotidienne et religieuse des Hindous et le bassin en tant que lieu de purification du corps et de l’esprit renvoie à la perfection de l’être non entaché du poids des actes. Peut-on imaginer que le kolam à l'image de l'eau remplisse également cette fonction purificatrice ?

Bassin sacré du temple de Bhoganandiswara, Nandi hills, Karnataka
Bassin sacré du temple de Kapaleeswarar, Mylapore, Chennai, Tamil-Nadu
Padi kolam autour du temple de Kapaleeswarar, Mylapore, Chennai, Tamil-Nadu

Padi kolam à l'image de l'enclos sacrificiel

Le sacrifice du feu (homa) est un élément fondamental des rituels domestiques hindous et des cérémonies de temple. Agni, le dieu du feu est la "bouche des dieux" et en tant que personnification du feu du sacrifice, il est considéré comme le porteur de l’oblation et le messager entre les humains et le divin. Pour cela, un autel est creusé dans la terre ou érigé en surface avec des briques ou des pierres. Les formes du foyer peuvent varier, mais le motif le plus commun est un carré. Le tracé initial de certains padi kolam renvoie à l'enclos du feu sacré. Parfois l'on assemble les briques sur le tracé même d'un padi kolam.

Selon Charles Malamoud, cet enclos est assimilé au corps divin de Prajapati, le «Seigneur des créatures »

« Les briques sont réparties en cinq strates superposées mais séparées par des couches de terre meuble : les cinq couches de briques sont les parties devenues immortelles de Prajapati, (esprit, parole, souffle, vue, l'ouïe), tandis que les couches de terre meuble sont ses parties restées mortelles : (poils, peau, chairs os, moelle). Les couches de brique sont en outre les orients : les quatre points cardinaux et le zénith… »

Charles Malamoud, Cuire le monde, rite et pensée dans l’Inde Ancienne, Éditions la Découverte, 1989

Autel domestique pour le rituel du "sacrifice du feu" lors d'une pendaison de crémaillère
Parfois on construit l'enclos du foyer sur le tracé même du padi kolam.

La demeure familiale est l’espace sacré par excellence où rayonne Agni, le dieu familier. Le chef de famille a pour devoir de procéder au culte quotidien qui consiste en une oblation dans le feu, matin et soir. Aujourd’hui encore, ce rite est accompli par les brahmanes tamouls. Il me paraît donc logique d'associer le répertoire des padi kolam avec la forme de l’autel sacrificiel ; le carré central devenant le corps divin.

Padi kolam vishnouites

Dans certains quartiers de Chennai, on découvre des padi kolam d’un genre particulier. Le carré central à l’inverse des autres kolam est légèrement excave et les lignes ondulent parfois d’un angle à l’autre. Loin de n’être qu’une simple variante du genre, ces kolam magnifient le seuil des maisons brahmanes vishnouites alors que les padi kolam aux lignes droites signalent la présence de familles shivaïtes.

Padi kolam vishnouite

Padi kolam shivaïte

Padi kolam réalisé lors d'un anniversaire
Démonstration d'un padi kolam lors d'un concours de kolam
Durant le festival de Panguni à Mylapore (un quartier traditionnel de Chennai), les femmes dessinent pour accueillir les chars portant les divinités du temple de Kapaleeswarar dédié à Shiva. Les femmes du quartier sont des brahmanes shivaïtes et le padi kolam témoigne de leur appartenance à ce courant religieux.

Extraits de mon livre : «Voyage dans l’imaginaire Indien, Kôlam, dessins éphémères des femmes tamoules » Editions Geuthner.