Jharkhand, Hazaribagh "un patrimoine en péril" — partie 1
À peine sortis de la ville, des collines soulignent le paysage, la nature est verdoyante, des vaches paissent à l’ombre des grands sal (Shorea robusta) au feuillage persistant, les rizières en ce mois de novembre sont asséchées et le riz arrive à maturité.
Ce voyage en Inde commence au Jharkhand, un État du nord de l'Inde qui a été détaché du Bihar en 2000 et qui est bordé par le Bengale à l'est, l'Odisha au sud et le Chhattisgarh à l'ouest. J'atterris en début de soirée à l'aéroport de Ranchi et j'ai rendez-vous avec Bulu Imam et sa famille au centre Sanskriti, dans la ville de Hazaribagh. J'ai l'intention de documenter Diwali, la fête des lumières, les peintures murales tribales et les peintures au sol appelées aripan créées à l'occasion de Sohrai, une fête des récoltes et du bétail célébrée par les populations tribales du Bihar, du Jharkhand, du Chhattisgarh, de l'Odisha et du Bengale.
C'est la veille de Diwali et, comme en Europe dans les jours qui précèdent les fêtes de fin d'année, la frénésie des achats de dernière minute s'intensifie. Il me faut trois heures pour atteindre la maison de mon hôte, Bulu Imam, à Hazaribagh. Après les présentations d'usage, je déplore de ne pas avoir eu l'occasion d'admirer le paysage, ce à quoi on me répond que la route est bordée de mines de charbon à ciel ouvert et que j'ai échappé à ce spectacle de désolation. J'apprendrai plus tard que l'État du Jharkhand possède la majorité des réserves de charbon de l'Inde et que leur exploitation anarchique détruit l'environnement depuis des décennies. Dans les jours à venir, j'aurai l'occasion d'en mesurer l'impact.
Le lendemain matin, quelle agréable surprise, je suis réveillée par l'appel du chakora ou corbeau faisan (Centropus sinensis). Cet oiseau étrange et secret aux yeux rouge foncé, que j'ai entendu tant de fois au Kérala à l'aube et au crépuscule, se déplace en sautillant. L'apercevoir ou entendre son cri grave est considéré comme un bon présage. Le centre Sanskriti créé par Bulu Imam est un havre de paix niché dans un bosquet ; les arbres entrelacés de lianes abritent de nombreux oiseaux, écureuils et surtout des araignées néphiles dorées dont les toiles sont parmi les plus grandes du monde.
Alors que je rejoins mes hôtes pour le petit-déjeuner, mon attention est attirée par une maison voisine décorée de peintures murales défraîchies. Deux femmes sont occupées à préparer un mélange de terre et de bouse de vache pour recouvrir les peintures de l'année passée.
Nous partons juste après le petit déjeuner et mon guide durant ce séjour sera Justin Imam, le fils de mon hôte qui depuis des années accompagne chercheurs, photographes et touristes dans les villages environnants. Il faut deux heures pour rejoindre Jorakath et Bhelwara, deux villages où l’on peut encore contempler des peintures murales.
À peine sortis de la ville, des collines soulignent le paysage, la nature est verdoyante, des vaches paissent à l’ombre des grands sal (Shorea robusta) au feuillage persistant, les rizières en ce mois de novembre sont asséchées et le riz arrive à maturité.
À l’approche des villages, je remarque une profusion de jardins soignés qui abondent en légumes divers.
En général, les femmes renouvellent les peintures murales deux jours avant le festival de Sohrai. Mon guide Justin salue les villageois avec un "johar" (une salutation tribale populaire au Jharkand) et distribue ensuite des sacs de poudre de kaolin et d'oxyde de fer à certaines maisons. Ces dons en nature proviennent d’une association française créée en 2019 par la photographe Deidi Von Schaewen qui a visité pour la première fois les villages peints en 2009 avec Bulu Imam. Lors de son voyage suivant, en 2012, elle constata une réduction significative du nombre des peintures et a donc créé l’association « Femmes du Hazaribagh » pour fournir les pigments nécessaires à la perpétuation des peintures murales.
Plus tard, avec le soutien de la famille Imam, les femmes ont été encouragées à peindre leurs motifs sur du papier. La vente de ces créations a également permis aux femmes de perpétuer la tradition des peintures murales. Mais l'homme à l'origine de ce projet de sauvegarde est Bulu Imam, un passionné qui a écrit plusieurs ouvrages détaillés sur l'art des peintures murales, sur les graphes du site archéologique d'Isco et sur les chants tribaux recueillis dans son entourage.
Dans sa jeunesse, il fut un chasseur de gros gibier et devint par la suite un écologiste convaincu. Témoin de la destruction massive des forêts par les projets d’extraction du charbon par l'État en 1979, il s’y est opposé en prenant la tête d'un mouvement de protestation, car l’extraction du charbon bouleversait la vie des communautés tribales dont les moyens de subsistances dépendaient essentiellement de la forêt. Bien qu'il ait reçu le prix international de la paix de la Fondation Gandhi et la médaille Padma Shri pour son travail de sauvegarde d'un patrimoine inestimable, l'exploitation du charbon en Inde augmente chaque année et continue de ronger la forêt et la vie des communautés tribales.
Histoire à suivre...