Mandana du Rajasthan, "Lakshmi dessine pour Diwali" — partie 2

Après quelques kilomètres, la chaussée citadine troque son manteau goudronné pour la poussière de sable du désert de Thar. De part et d’autre, s’étire à perte de vue une campagne aride ponctuée de la présence austère des câpriers ou ker et de buissons épineux divers.

Mandana du Rajasthan, "Lakshmi dessine pour Diwali" — partie 2

À quelques kilomètres de la ville de Jodhpur, la chaussée citadine troque son manteau goudronné pour la poussière de sable du désert de Thar. De part et d’autre, s’étire à perte de vue une campagne aride, ponctuée de la présence austère des câpriers (ker) et de buissons épineux divers, connus pour leurs vertus pharmaceutiques. Mais la manne du désert s’appelle khedjri ou sangri. L’arbre miraculeux étale son feuillage parasol et produit de fines gousses vertes qui ressemblent à des haricots. Une fois séchées, elles sont combinées à d’autres légumineuses dont les pois plats kumti pour composer le panjkuta ou le mets aux cinq ingrédients : "khedjri" ou"sangri" (P. cineraria), "kumti" (Acacia senegal), "gunda" (Cordia mixa), "ker" (Capparis decidua) et "kachara" (Cucumis sp.). Dans cette partie du Rajasthan, les familles stockent des sacs de ce précieux mélange déshydraté qu’il suffit de plonger dans l’eau avant de le cuisiner avec des épices.

La route devient une piste truffée d’ornières et le chauffeur s’esclaffe à chaque embardée qui me précipite contre la portière de la jeep. Dans la monotonie du paysage, mon regard croise à deux reprises des hordes d’antilopes noires et fauves aux cornes spiralées. Dans les miniatures mogholes, ce sont les mêmes qui écoutent l’héroïne jouer d’un instrument lorsque celle-ci attend la venue de l’amant.

Dessin à l'encre, Todi Ragini série Ragamala, Style Pahari, Inde du nord,18ème siècle

La vision s’évanouit avec l’approche d’un nuage poussiéreux qui recroqueville instantanément la piste. Pourtant je distingue très clairement la cadence balancée des grelots attachés à l’archet du ravanhatta. Un homme apparaît, il joue de cette vièle rustique constituée d’une caisse de résonance en noix de coco et de deux cordes en boyau de gazelle.

Une vièle du Rajasthan appelée Ravanahatta 

Une procession multicolore le suit de près, menée par un dromadaire attelé à une charrette transportant des femmes et des enfants. Ce sont des bardes itinérants Bhopa qui autrefois chantaient et dansaient la légende du prince Pabuji devant un rouleau peint. Aujourd’hui, beaucoup de poètes musiciens se sont adaptés et chantent dans les hôtels ou dans les forts dès qu’une nuée de touristes approche. La troupe s’évanouit peu à peu et nous poursuivons notre route jusqu’à ce que le chauffeur s’immobilise devant les grilles d’une maison. Je descends de la jeep et l’accompagne jusqu’à un arbre à l’ombrage généreux. C’est un neem ou margousier immense qui rafraîchit de son feuillage deux femmes assises sur un lit tressé appelé charpoy. La plus jeune est l’épouse de mon guide et la plus âgée, sa mère.

Dhanraj, l'agriculteur et guide
Lakshmi épouse de Dhanraj

Elles connaissent les raisons de ma venue et me montrent avec fierté l’enduit ocre jaune qu’elles ont appliqué la veille sur une grande partie de la cour devant l’habitation.

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Enduire la plateforme attenante à la maison avant de peindre les mandana

C’est ainsi que débutent les préparatifs pour les fêtes de Diwali ou fête des lumières qui célèbre Lakshmi, déesse de la prospérité et de l’abondance et repousse Alakshmi, sa sœur aînée et double malveillant qui amène malchance et pauvreté. Après une tasse de thé et quelques biscuits, mes hôtesses se dirigent vers la maison et reviennent avec des pots en terre dans lesquels elles mélangent deux poudres distinctes avec de l’eau. Le rouge ou gheru n’est autre que de l’oxyde de fer et le blanc de la chaux éteinte (chunna) ou encore de la craie (khadiya).

Oxyde de fer pour le rouge et chaux éteinte pour le blanc

Peindre un mandana

Pour dessiner le mandana, pas de pinceau mais un lambeau de sari roulé en boule qui sert de réservoir une fois plongé dans la couleur choisie et pressé au creux des doigts.

La jeune femme guide le liquide rouge et trace les contours du dessin. Elle en fait de même avec le blanc, qu’elle utilise pour inscrire à l’intérieur des espaces, des lignes parallèles droites et courbes ou des motifs répétitifs ou déclinés en miroir. Peindre des mandana est décrit comme subhkarya (une activité de bon augure) et met en avant l’idée de centre, de symétrie et de multiplication.  Autour d'un cercle qui honore en son centre la syllabe OM, je remarque en direction des points cardinaux, la présence de quatre figures identiques symbolisant la déesse Lakshmi.

La syllabe sacrée OM entourée par des représentations abstraites de la déesse Lakshmi
Mère et fille dessinant un mandana dédié à la déesse Lakshmi.

Encouragée par mon vif intérêt pour leur travail graphique, la belle-sœur de mon guide entreprend de dessiner un carré pour accueillir une paire de pieds stylisés couronnés par le soleil et la lune. De chaque côté du carré, je me demande ce que représentent les motifs en pointe de flèche. Elles m’évoquent toutefois les croix Touareg portées par les hommes et qui se transmettent de père en fils avec l’aphorisme suivant : « Mon fils, je te donne les quatre directions du monde, car nul ne sait où tu mourras ».  Est-ce l’influence du désert si proche qui donne à l’ensemble des mandana cet aspect résolument géométrique et dépouillé ?

Lakshmi dessine sous la guidance de sa belle-mère.
Pieds de la déesse Lakshmi avec le soleil et la lune

La matinée se poursuit avec d’autres dessins et c’est ainsi que portées par un élan commun, la mère et d’autres jeunes filles festonnent le périmètre de la cour comme elles le feraient des bordures d’une draperie.

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Festonner la cour
Mandana dans une maison environnante

Après quelques jours passés à visiter d'autres familles, mon séjour prend fin et je rentre à Jodhpur avec un sac de la précieuse manne du désert que je cuisinerai à mon retour en France grâce à la recette qui redonne vie aux câpres sauvages et aux haricots qui poussent sur les arbres.

Histoire à suivre..


Inde, Rajasthan : maisons rurales de Kudiala | INA

Réalisateur Yann Arthus Bertrand, 2008. Rushes du film « Home »: survol d'habitations rurales traditionnelles, construites en pisé et toit de chaume, dans la région de Jodhpur et mandana à l'intérieur des cours.


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Mandana du Rajasthan, "Livres et références"

Mandana du Rajasthan, "Jodhpur, la quête commence"— partie 1