Alpona du Bengale, souvenirs photographiques de Santiniketan
Une collection de photographies autour de l'art graphique des alpona provenant d'anciens élèves et professeurs de Santiniketan au Bengale.
En Europe, on connaît surtout Rabindranath Thakur dit Tagore pour ses nombreux écrits tant poétiques que philosophiques. L’Offrande lyrique et La Corbeille de fruits comptent parmi les oeuvres les plus populaires. Tour à tour écrivain, compositeur (il composa l'hymne national indien "Jana Gana Mana"), dramaturge, peintre et philosophe il fut l'ami du grand écrivain et maître à penser qu'était Romain Rolland. Son universalisme et son soutien à Gandhi pour l'indépendance de l'Inde ont séduit André Gide, qui le fait connaître en France, en traduisant de l’anglais, des ouvrages traduits du Bengali par Tagore lui-même. En revanche, on connaît beaucoup moins l'école expérimentale Shantiniketan littéralement (Demeure de la paix) fondée en 1901 par R. Tagore et dont la pédagogie s'écarte de l'éducation formelle de son époque. Cette école s'est développée au fil des ans pour devenir en 1951 l'université publique connue sous le nom de Visva Bharati. L'aile artistique appelée Kala Bhavan attira de nombreux intellectuels et artistes dont Nandalal Bose, un pionnier de la peinture indienne moderne qui en devint le directeur. Ce dernier passionné par les arts populaires et l'artisanat du Bengale inclut dans le cursus du département art, l'apprentissage des peintures de sol appelées alpona de même que le tissage, la poterie, le batik, la maroquinerie, la scénographie et la confection de costumes, l'illustration de livres, l'impression graphique etc. Traditionnellement, les alpona sont créés par les femmes dans l'univers domestique. Les festivals et les célébrations ponctuelles instaurés par R. Tagore furent autant d'occasions pour les étudiants de mettre à profit leur apprentissage. Parmi les célébrations initiées par R. Tagore, il existe une cérémonie appelée Halakarshana, dédiée au labourage considéré comme un acte vertueux et sacré. Elle a toujours lieu au mois de Shravan (mi-juillet-mi-août).
Satyasri Ukil, souvenirs de ses grands-parents Mukul Dey et Bina Devi
Mukul Dey a été éduqué à Santiniketan, l'école expérimentale de Rabindranath Tagore créée en 1901. Il a été l'élève du poète et le premier artiste indien à se rendre à l'étranger pour étudier la gravure. Il a également étudié les peintures chinoises et japonaises de style Nihonga à Tokyo et à Yokohama. Satyasri Ukil, petit-fils de Mukul Dey, se souvient de sa grand-mère Bina Devi que l'on voit ci-dessous dessiner un alpona à la galerie d'art de l'hôtel de ville de Boise lorsque son mari Mukul Dey était boursier aux États-Unis (1950-54).
"Pendant mon enfance, j'ai toujours vu Bina peindre des alpona lors des célébrations religieuses en l'honneur des déesses Lakshmi et Sarasvati dans notre maison de Santiniketan. "Chitralekha" était avant tout la maison de Bina et elle en était l'âme. Elle utilisait de la pâte de riz pour dessiner l'alpona et peignait toujours avec son annulaire droit."
Shevanti Narayan, un hommage à sa mère
Sumitra Narayan (née Benegal) est née en 1929 à Secunderabad, alors État d'Hyderabad. Elle a déjà vingt ans lorsqu'elle arrive à Kolkata (Calcutta) pour y étudier au "Government Art College" et vivre avec son oncle et son frère, tous deux artistes. Cependant, une visite inopinée à l'école de Santiniketan agit comme une révélation ; elle fait la connaissance du directeur Nandalal Bose et des autres professeurs. Ce fut un coup de foudre immédiat et elle décida de s'inscrire à l'université Visva Bharati. L'idée de vivre dans un tel environnement artistique constituait un réel attrait. Sumitra Narayan étudia au Kala Bhavan de 1949 à 1953, principalement sous la direction de Gouri Bhanja, la fille du peintre Nandalal Bose. Pendant toute la durée de ses études et en compagnie de ses camarades de classe, elle participait à la création d'alpona lors des cérémonies et festivals instaurés par le poète Rabindranath Tagore.
Après un bref passage comme enseignante à l'école pour filles "Maharani Gayatri Devi" à Jaipur et après avoir obtenu son diplôme du Kala Bhavan, elle est retournée à Kolkata pour se marier et s'y installer. Elle fut l'une des fondatrices de l'école "Patha Bhavan" de Kolkata, créée en 1965 et conçue sur le modèle de "Patha Bhavan" de Santiniketan. Elle y a enseigné l'art et l'artisanat jusqu'en 1992 et l'alpona était l'une de ses formes d'art préférées. Ses alpona étaient réputés pour la fluidité de ses lignes qu'elle traçait à l'aide d'un morceau de tissu trempé dans un lait de riz et placé dans la paume de la main. Le liquide qui s'écoulait le long de des doigts se transformait en un motif.
Ses peintures alpona étaient le plus souvent de forme circulaire et elle ne dessinait jamais rien à l'avance, si ce n'est le cercle et ses rayons qu’elle traçait à la craie.
En dehors des fêtes importantes de l'école (Journée de la Fondation et les festivals Vriksharopana et Halakarshana), des amis demandaient souvent à ma mère de peindre des alpona pour les cérémonies domestiques en l'honneur des déesses Sarasvati et Lakshmi. Elle s'en acquittait avec joie sans aucune rétribution.
Elle a également peint des alpona colorés sur des planches appelées « pidi » ; une planche de bois assimilée à un tabouret et utilisée pour les mariages au Bengale. Dans ce rituel bengali, la mariée assise sur le pidi et portée par ses frères ou oncles, fait sept fois le tour du marié.
Lors de son séjour à Santiniketan (1949-53), Sumitra Narayan eut la surprise de recevoir pour un de ses anniversaires, une esquisse du peintre Nandalal Bose représentant une femme créant un alpona. Ce dernier est devenu le directeur de l'école d'art Kala Bhavan de l'université Visva Bharati en 1922. Il était fasciné par la créativité de l'art populaire et la traduisait dans son travail d'une manière unique. Avec ses disciples Beohar Rammanohar Sinhan et cinq femmes artistes : Gauri Bhanja, Jamuna Sen, Amala Sarkar, Nibedita Bose et Bani Patel, il fut chargé d'illustrer le manuscrit original de la "Constitution de l'Inde".
Boisali Biswas, souvenirs de Santiniketan
Boisali Biswas pratique le tissage, mêlant diverses techniques. Née et élevée en Inde, elle a étudié à l'université Visva-Bharati. Comme tous les élèves, elle a participé à la création d'alpona lors de cérémonies importantes. Elle se souvient de Chhatimtala, le site où l'idée de Shantiniketan s'est concrétisée en 1901. C'est à cet endroit précis que le père du poète a eu une expérience spirituelle en méditant sous les arbres Chhatim (Alstonia scholaris) ; la seule végétation de cette terre aride de Birbhum. Aujourd'hui, cet emplacement est considéré comme sacré et des services de prière y sont organisés lors de journées spéciales.
Articles précédents :
Alpona, image symbole des femmes du Bengale
Alpona du Bengale, "Le Fleuve de Jean Renoir" — partie 1
Alpona du Bengale, "Visite de Kolkata"— partie 2
Alpona du Bengale, "La maison de Sumitra" — partie 3
Alpona du Bengale, "Fête de Poush Sankranti chez Sumitra" — partie 4
Alpona du Bengale, "Fête de Poush Sankranti dans les villages" — partie 5