Kalam du Kérala, Pulluvanpattu, "Protéger la mère et l'enfant" — partie 1
Les peintures éphémères sont alors conçues dans un but essentiellement thérapeutique et les divinités invoquées sont celles qui ont provoqué la maladie. Voici un rituel parmi tant d'autres en rapport avec la femme, la fécondité, la stérilité, les menstruations, la grossesse et les enfants.
Pulluvanpattu, un rituel d'exorcisme
Bien que la médecine occidentale et les maternités fassent partie du paysage Kéralais depuis longtemps, il existe encore des communautés de peintres rituels dont la tâche héréditaire les assimile à des médecins. Les peintures cérémonielles sont alors conçues dans un but essentiellement thérapeutique et les divinités invoquées sont celles qui ont provoqué la maladie. Voici un rituel parmi tant d'autres en rapport avec la femme, la fécondité, la stérilité, les menstruations, la grossesse et les enfants. Ces rituels étaient autrefois en vogue au Kérala, et le sont toujours pour certains d’entre eux aujourd’hui.
Pullu, le sinistre oiseau
Les oiseaux, leurs cris et leurs vols ont de tout temps été associés aux signes du destin. L’Atharva Veda préconise plus d’un charme pour repousser les mauvaises influences des oiseaux :
« Ceci, que le sinistre oiseau noir a fait tomber en volant à ma rencontre ou en s’envolant, de tout cela, que les Eaux me défendent, du Mauvais pas, de l’Angoisse. Ceci, que le sinistre oiseau noir a essuyé avec ta bouche, ô ! Perdition, de ce péché me puisse délier Agni Dominical (dieu du foyer). » A. V 7.64
Jean Varenne, Le Véda, vol.1, Marabout Université, Éditions Planète, Paris, 1967
Au Kérala, on craint surtout le pullu. Ce serait un oiseau de la famille des chouettes. On pensait autrefois qu’il suffisait que cet oiseau survole la tête d’une femme enceinte pour affecter l’enfant à venir de diarrhée aiguë pouvant entraîner la mort. L’enfant, à l’instar de l’oiseau, se recroqueville et ses plaintes ressemblent aux cris de ce dernier.
Le Pulluvanpattu complètement tombé en désuétude était accompli pour annihiler ou repousser les mauvaises influences de l'oiseau pullu. Cet exorcisme prenait place dans la maison de l’enfant souffrant ou chez la femme enceinte persuadée d’avoir aperçu au-dessus d’elle l’oiseau de mauvais augure.
Les Pulluvan qui conduisent ce rite demeurent et appartiennent à une section différente des Pulluvan de la région de Travancore évoqués dans mes précédents articles sur les dieux-serpents. Il existe deux divisions parmi eux, les « nâgam padi » ceux qui conduisent les rites pour les Nâga, et les « pretam padi » ceux qui éloignent les entités maléfiques. Dans le cas présent, les Pulluvan du district de Kasaragod (Nord du Kérala) sont astrologues et médecins car ils ont la réputation de guérir les maux des femmes enceintes. Ils font partie des castes de statut inférieur, adorent les dieux brahmaniques et croient en divers esprits. Ils pratiquent également la magie et la sorcellerie et sacrifient chèvres et agneaux pour subordonner les démons qui s’acharnent sur les femmes enceintes et les bébés en bas âge.
Peindre le kalam
Pour les besoins de ma recherche, des officiants Pulluvan ont accepté de dessiner les diagrammes géométriques qui accompagnent ce rituel. Le premier dessin s’appelle «asthadelam» (qui possède huit pétales) et l’autre « sudarshana chakram ». Un des Pulluvan esquisse le diagramme aux huit pétales avec de la poudre de chaux éteinte ou chunnam. Ce matériau grossièrement moulu est toujours utilisé pour éloigner les mauvais esprits alors que la farine de riz est destinée à des rites de bon augure.
Pendant ce temps, le plus âgé des deux hommes a couvert de poudre noire une zone sphérique sur laquelle il trace plusieurs cercles au moyen d’une spathe du palmier aréquier (Areca catechu) percée en six endroits et remplie de poudre de chaux.
L’esquisse du « ashtadelam » achevée, l’officiant colorie les différentes zones qui délimitent le centre et sa périphérie ainsi que les huit pétales. Jaune-curcuma et rouge pour le centre et gris à la périphérie alors que les huit pétales alternent les deux couleurs.
sudarshana chakram se compose de deux carrés superposés et quatre oiseaux pullu paradent leur insolence sur les pointes d’un des quadrilatères et symbolisent les entités invoquées au cours du rite. Sudarshana symbolise également le disque tournoyant de Vishnou qui élimine le mauvais oeil et les ennemis. Les officiants, craignant de perdre leurs pouvoirs magiques, n'ont pas divulgué les formules sacrées et la symbolique des formes et des couleurs du kalam.
Des offrandes et des chants pour chasser l’oiseau
Les Pulluvan invoquent, à travers les chants propitiatoires, Ganesha, la déesse Sarasvati et Dhanvantari « le médecin des dieux » né du barattage de la mer de lait et portant la coupe d’ambroisie. Indra, le roi des dieux lui enseigna l’art de la médecine. Il existe peu de temples ayant pour divinité Dhanvantari. Le temple de Maruthorvattam à Alappuzha (Sud du Kérala) en fait partie et l’offrande principale consiste en un plat composé de plantes censées guérir les maux de ventre (ballonnements, gaz). Après les offrandes appropriées, le plus âgé des officiants, s’accompagnant du kutam (un pot de terre cuite monocorde à tension variable joué avec un plectre) et de la vīna (vièle monocorde), chante l’origine et les exploits de la communauté des Pulluvan.
Pendant la durée des chants, l’enfant ou la femme enceinte sont assis près des kalam. La cérémonie s’achève en remettant à l’enfant les remèdes qui comprennent une huile pour fortifier son corps ainsi qu’une poudre à usage interne. Les poussières colorées des deux kalam mélangées à de la bouse de vache séchée seront déposées au pied d’un arbre.
L'article est tiré de mon livre "Kolam et Kalam, peintures rituelles éphémères de l'Inde du Sud", Editions Geuthner, Paris 2010.