Kolam du Kérala, " Concours à Thiruvananthapuram, la cité du Seigneur Anantha "
Chaque année, au temple Padmanabhaswami à Trivandrum, une association tamoule organise un concours de kolam pour célébrer un art ancestral et préserver la tradition des padi kolam.
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Après avoir peaufiné durant l’été et l’automne mon troisième ouvrage, qui rassemblera plusieurs articles sur les peintures éphémères de l’Inde, me voici de retour à Chennai, prête à reprendre mes pérégrinations graphiques. En ce début de février 2025, ma quête me conduit à Thiruvananthapuram (Trivandrum), capitale du Kérala, dont le nom signifie littéralement « la cité du Seigneur Anantha ». Vishnou, la divinité principale du temple appelée également Shri Padmanabhaswami est représentée allongée sur le serpent mythique Anantha, avec un lotus (padma) émergeant de son nombril (nabha) symbolisant la création.
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C’est sur le parvis de ce temple que se déroule chaque année un concours de kolam, organisé par la branche féminine d’une association de brahmanes tamouls. Le Kerala Brahmana Sabha (KBS) est une organisation caritative qui œuvre pour le développement des brahmanes Iyer du Kerala. Elle organise des foires commerciales, des événements sportifs et des festivals culinaires pour promouvoir la cuisine et les traditions de sa communauté. L’aile féminine de l’association (Vanitha Vibhagom) s’engage activement dans des initiatives visant à autonomiser les femmes brahmanes du Kérala et encourage la préservation des arts traditionnels à travers divers programmes culturels, notamment des concours de kolam.
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À cette occasion, l’esplanade se métamorphose en un tapis éphémère de motifs tout en lignes. Entre rigueur géométrique et liberté créative, ces kolam réalisés avec de la poudre célèbrent la richesse et la vitalité des padi kolam, un répertoire graphique propre aux femmes brahmanes tamoules. Au Kérala, les femmes ne dessinent pas de kolam, à l’exception des communautés tamoules installées de longue date, comme celles mentionnées dans un précédent article, notamment les femmes du quartier de Nurani à Palakkad.
Sous le règne des rois de Travancore, de nombreux brahmanes tamouls Iyer ont migré de Tirunelveli, dans le Tamil Nadu, vers Palakkad, mais aussi vers Thiruvananthapuram. Certains ont été sollicités pour participer au rituel du Mura Japam, une récitation des trois Védas dans le temple de Shri Padmanabhaswami, dédié à Vishnou. Cette migration s’est poursuivie pendant plusieurs décennies, à l'image de celle qui s'est produite dans d’autres régions de l’Inde du Sud, et a permis de concentrer la population Iyer autour du temple, dans des quartiers appelés agraharam, situés à ses abords. Chaque agraharam se compose de deux rangées de maisons faisant face et organisées autour d’une rue commune.
Le jour venu, je retrouve Geetha S., une connaissance qui sera l’une des deux juges du concours. Levée à l’aube, je me rends sur le parvis du temple de Shri Padmanabhaswami qui en juin 2011 a fait la une des journaux du monde entier en raison de la découverte d’un trésor inestimable caché dans ses chambres souterraines.
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Sur ordre de la Cour suprême de l’Inde, plusieurs des mystérieuses pièces scellées du temple furent ouvertes, révélant des richesses d’une valeur évaluée à plusieurs milliards d’euros : des statues en or, des bijoux, des pièces anciennes et d’autres artefacts précieux accumulés au fil des siècles. Il reste cependant une dernière chambre dont la porte est gravée d’un motif de serpent. Selon une croyance, des sages dans le passé auraient scellé cette pièce en récitant le puissant mantra (formule sacrée) "Naga Pasam" . Seul un prêtre maîtrisant parfaitement le "Garuda Mantra" (l’aigle géant mythique Garuda, ennemi des serpents) pourrait en ouvrir les portes car toute tentative d’effraction amènerait de grands malheurs. 0n raconte qu’une bande de voleurs dans les années 1930, aurait essayé de piller le temple, mais des serpents seraient apparus pour les repousser.
Il est 7h30 du matin. Dans le ciel, des aigles tournoient et glatissent autour du gopuram en forme de pyramide, comme pour honorer Garuda, l’aigle mythique et monture du dieu Vishnou. Ce monumental portail s’élève sur sept étages, chacun percé d’ouvertures alignées verticalement, à la manière de fenêtres. Tout en bas, la plus vaste d’entre elles marque l’entrée principale du sanctuaire. Ce qui retient l’attention, c'est la présence massive de forces de l’ordre aux abords du temple. Derrière ces murs imposants de granit se cache en effet l'un des plus grands trésors du monde.
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Les femmes arrivent peu à peu sur le majestueux parvis et rejoignent l’espace qui leur a été attribué. Une centaine d’entre elles s'est inscrite et se prépare à dessiner. L’espace est ceinturé et des fidèles arrivent également pour voir et être vus de la divinité (darshan). Le concours commence, les femmes, courbées sur le sol, laissent glisser entre leurs doigts la poudre blanche, qui s’écoule en un fil léger ou épais et continu. Ce type de kolam se construit à partir d’un carré de lignes parallèles qui se croisent à angle droit. Pour l'agrandir, on ajoute une série de traits à partir desquels de nouvelles lignes s’inscrivent en filigrane. Sur le pourtour du dessin, des lotus, des conques ou d’autres motifs décoratifs viennent parachever l’œuvre dans la plus grande liberté. À l’instar des yantra ou des mandala, quatre portes faisant face aux quatre points cardinaux et représentées de manière très stylisée, interdisent l’accès à toute force négative ou destructrice.
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Le centre d’un kolam à lignes n’est d’ailleurs jamais inoccupé mais marqué d’un ou de plusieurs points, de lignes diagonales, des motifs du soleil et de la lune, d’un pentagone ou d’un hexagone étoilé. Les padi kolam littéralement "kolam marche" font référence aux marches qui entourent le bassin sacré d'un temple. Ils sont également connus sous le nom de kalyana kolam pour désigner les kolam que l'on dessine à l'endroit précis où un mariage (kalyana) sera célébré. Le carré central des padi kolam se confond tantôt avec le plan de base d'un sanctuaire tamoul ou avec les contours des bassins sacrés des temples. Les lignes parallèles qui délimitent les contours du kolam évoquent les nombreuses enceintes (de trois à sept tours d’entrée pyramidales) qui caractérisent les temples tamouls. Le padi kolam sanctuaire apparaît comme la projection du temple et de ses valeurs, à savoir prestige, renommée et garant de l’ordre moral et social.
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Il est bientôt 10 heures, et sur le parvis, la chaleur devient accablante. La température grimpe, les fronts perlent de sueur et les visages se crispent sous le soleil de plomb. La plupart des participantes ont achevé leur kolam et apportent la touche finale : un trait rouge tracé au pinceau, imprégné d’un mélange d’oxyde de fer et d’eau (kavi), qui vient souligner et magnifier le dessin.
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Malgré la splendeur des kolam, beaucoup de fidèles ne s'y attardent que quelques instants. Ils arrivent en groupe, vêtus des tenues traditionnelles requises pour accéder au temple. Les séances photo s’enchaînent : on adopte des poses empreintes de ferveur, mains jointes dans une humilité étudiée. Les selfies fusent, capturant l’instant sous tous les angles, avec en arrière-plan la silhouette imposante du temple et les kolam. Difficile de ne pas être à la fois perplexe et déçue par cette foule où l’instant capturé – mains jointes dans une pose d'adoration – semble souvent primer sur le simple fait de s’arrêter, d’observer, de s’interroger et d’admirer le travail minutieux des femmes.
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Pourtant, en ce jour, le véritable trésor ne se cachait ni dans les richesses du sanctuaire, ni dans les images fugaces partagées sur les écrans, mais dans l’offrande graphique et silencieuse des femmes, qui perpétuaient la ferveur d’un geste ancestral infiniment précieux.
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