Sri Antal, la poétesse mystique tamoule
Rencontre avec un groupe de femmes au temple Srinivasa Perumal de Chennai. Elles se réunissent parfois pour dessiner ensemble des thèmes religieux. Elles appartiennent au courant vishnouite et à ce titre vénèrent Vishnou comme Dieu suprême ou à travers ses incarnations.
Création poudrée à plusieurs mains
Rencontre pour le moins surprenante avec un groupe de femmes au temple Srinivasa Perumal de Mylapore à Chennai. Elles habitent toutes le même quartier et se réunissent parfois pour dessiner ensemble des thèmes religieux. Elles appartiennent au courant vishnouite et à ce titre vénèrent Vishnou comme Dieu suprême ou à travers ses incarnations comme Krishna et Rama. Il y a quelques jours, elles ont créé une fresque de poudres colorées en l'honneur de ce dernier. Sur la plateforme d'un petit pavillon au sein même du temple, on reconnaît le dieu Rama dans un disque rayonnant car il est affilié à la dynastie solaire. On aperçoit également l'empreinte de ses pieds et le dessin d'un temple; celui d'Ayodhya. À ce propos, il est intéressant de rappeler la décision récente de la Cour suprême indienne (samedi 9 novembre 2019) afin de comprendre la présence de l'édifice dans le dessin.
La Cour suprême a en effet donné le droit aux Hindous de construire un temple sur un site où se trouvait une mosquée. Cette dernière a été détruite par des extrémistes hindous en 1992, qui considèrent que ce lieu abritait un ancien temple, lieu de naissance de Rama. Bien que des recherches archéologiques montrent une structure hindoue sous la mosquée d'Ayodhya, personne ne peut prouver que c’est précisément là qu’est né le dieu Rama. Les musulmans déboutés, recevront en échange 2 hectares de terre pour construire une nouvelle mosquée ailleurs. La communauté vishnouite du temple a bien sûr accueilli la décision avec allégresse et c'est pourquoi, le groupe a ajouté le dessin du temple dans l'oeuvre éphémère.
Quelques jours plus tard, le groupe de femmes décident de créer le portrait d'Antal, une poétesse mystique extrêmement populaire au Tamil-Nadu comme l'est Mirabai dans le Nord de l'Inde. Si dans le mariage hindou, l’épouse idéale est à l’image de la déesse Lakshmi, l’époux a pour modèle le dieu Vishnou. Andal ou Antal, poétesse mystique tamoule du 8ème siècle de la lignée des bardes et saints Alvar s’est distinguée par son intense dévotion envers Vishnou. Considérée comme une incarnation de la déesse Terre, elle se volatilise le jour de ses noces pour fusionner avec son divin époux, dans le temple de Srirangam. Elle composa deux œuvres : le Tiruppavai et le Nacciyar Tirumoli. Le premier demeure à ce jour un texte très populaire, chanté plus particulièrement durant le mois de Margazhi (mi-décembre à la mi-janvier). On raconte qu’à cette période, les portes entre le ciel et la terre s’ouvrent et que les vœux formulés avec constance se réalisent.
Environ une dizaine de femmes de tout âge arrive vers midi, elles discutent de la mise en place du portrait sur une table basse car elles n'ont pas eu le cœur de détruire la peinture précédente du dieu Rama et du futur temple. Dans le groupe, il y a Chitra qui sait dessiner et qui fera les contours du buste de la poétesse mystique.
Les autres mélangent les couleurs, puis viennent les poser aux endroits indiqués. L'après-midi est joyeuse car le temple est également un lieu de socialisation très prisée des femmes, une façon de couper la routine quotidienne des mères au foyer pour le plus grand nombre d'entre elles.
Nacciyar Tirumoli ou les "chants sacrés de la Dame"
Le Nacciyar Tirumoli composé de 14 hymnes divisés en 143 versets et dernière œuvre de la poétesse est moins connu. Antal éplorée et inquiète adresse ses prières dessinées, au dieu de l’Amour Kamadeva afin qu’il consente à son vœu le plus profond : L’unir au bien-aimé Krishna, incarnation de Vishnou. Les dessins de sol de Sri Antal font partie intégrante du rituel de l’observance de son vœu. Plusieurs légendes rapportent qu’elle dessinait à la perfection les yeux fermés tant sa concentration sur l’objet de son cœur était profonde.
« Ô Kamadeva, unis moi à mon Seigneur Durant tout le mois de tai j’ai balayé le sol devant ma maison, j’ai dessiné des mandala sacrés avec du sable fin. Le mois de mâci a commencé, j’ai décoré la rue, j’ai adressé mes prières à ton frère et à toi. Comment puis-je vivre sans le seigneur de Venkata (Vishnou) ? Ô dieu sans forme, unis-moi à celui qui tient le disque enflammé. Au lever du jour couleur argent, je me suis baignée dans la rivière et j’ai allumé le feu sacré avec des brindilles tendres. Avec du sable fin j’ai décoré la rue et respecté mon vœu pour toi.»
Traduction libre du verset tiré de Vidya Deheja, Antal and her path of Love, Sri Satguru Publications, New-Delhi 1992, p.75.