Images éphémères
Peintures éphémères en Inde
En Inde, écrire ou dessiner sur le sol avec de la farine de riz ou des couleurs végétales et minérales s’appelle kolam au Tamil-Nadu et kalam au Kérala, muggu au Karnataka et en Andhra-Pradesh, rangavali, rangoli au Gujarat et au Maharastra, alpana ou alpona au Bengale, aripana au Bihar et en Uttar-Pradesh, chok au Madhya Pradesh, mandana au Rajasthan, likhnu ou lipana en Himachal Pradesh, chita ou jhoti en Odisha. Cette pléthore de noms évoque une culture visuelle vivante, créative, attentive au monde qui l’entoure et riche d’une iconographie surprenante. Les images éphémères me fascinent et leur attrait réside dans la dualité qui les caractérise à savoir fragilité et force ; fragilité des matériaux qui les composent et force de l’impermanence qui défie tout désir d’appropriation. Les raisons qui poussent à préférer une image éphémère à d’autres supports de culte ou d’expression ne sont jamais explicites mais la fascination qu’elle exerce n’est jamais démentie.
Extraits de mon livre « Kolam Kalam : peintures rituelles éphémères de l'Inde du Sud» Geuthner, 2010.
Sans vouloir procéder à une étude comparative des peintures ou des décorations éphémères appartenant à diverses traditions dans le monde, j’ai à cœur de présenter des paysages visuels aussi variés que semblables à bien des égards et d’en découvrir leurs caractéristiques communes à savoir :
- Expression sur le sol, la terre, le sable ou la chaussée. Utilisation de matériaux éphémères ; minéraux, végétaux ou céréales réduits en poudre, sciures de bois, cendres, céréales et légumineuses, fleurs et feuilles.
Dessiner avec les doigts, la paume ou le dos de la main.
Tracer par l’adjonction ou la sculpture de matériaux, par grattage ou par impression.
Décorations votives chrétiennes en Europe et au Guatemala
La Fête-Dieu, Corpus Christi, Fronleichnam, sont les noms donnés à la fête du Saint-Sacrement en divers pays d’Europe : instituée officiellement en 1264 par le Urbain IV pour honorer la présence réelle de Jésus-Christ dans l’Eucharistie. Son caractère populaire s’est développé autour de la procession qui suit la messe. L’organisation du trajet rituel s’organise autour des reposoirs ou autels décorés devant l’entrée principale de la demeure. Le chemin de la procession est jonché de fleurs (des roses le plus souvent), de fougères, de genêts, d’herbes aromatiques, de feuillage divers voire de terres volcaniques. Bien que cette fête ait disparue dans la plus grande partie de l’Europe, il subsiste néanmoins des villages célèbres pour la magnificence de leurs chemins de procession notamment en Allemagne, en Italie, En Espagne et en certaines régions de France (Bretagne, Alsace, pays Basque).
Au Guatemala, durant la semaine Sainte, il est de tradition à Antigua de fabriquer un chemin de procession avec de la sciure de bois colorée.
Les mandala tibétains
Les peintures les plus médiatisées sont bien sûr les mandala tibétains. Depuis quelques années, en dépit des persécutions que le Tibet ne cesse de subir ; des moines en exil voyagent aux quatre coins de la planète pour partager avec le monde un héritage unique et apporter un message de paix en élaborant la plus complexe des formes de peintures éphémères.
Les Vévés haïtiens
En Haïti, des dessins symboliques appelés vévé remplissent la fonction dévolue aux statues et aux images. Ils sont tracés sur le sol avec de la farine de blé, de maïs, de la poudre de brique ou d’écorce triturée, de la cendre ou du marc de café.
- Lire Alfred Métraux, Le vaudou haïtien, collection Tel, Gallimard 1977, initialement paru en 1958.
Peintures de sable des Indiens Navajos et Luisenos
Chez les Navajos, peuple indien d’Amérique du Nord, la santé est inséparable de la beauté, de l’équilibre et de l’ordre. Le malade devra retrouver cette harmonie avec l’aide d’un homme-médecin ou d’une femme-médecin. Les peintures de sable font alors partie intégrante des cérémonies rituelles de guérison appelées aussi «Voies».
Des peintures de sable que l’on retrouve également en Californie chez les Indiens Luiseños.
- Gladys A. Reichard, Navajo Medecine man Sandpainting, Dover publications, New-York 1977, first published By J.J.Augustin Publisher, 1939.
- Sylvie Crossman et Jean-Pierre Barou, Peintures de sable des Indiens Navajo, Actes Sud 1996.
Sculptures de sable rituelles des aborigènes australiens
Les femmes aborigènes d’Australie connaissent une forme d’expression dans le sable dont la vocation essentielle est la diffusion de la culture traditionnelle auprès des jeunes générations. Christine Watson (1) chercheuse australienne parle de plusieurs types de dessins pratiqués par des femmes de quatre tribus. Dessins dans le sable à l’appui, mimiques, imitations de cris d’animaux ou d’oiseaux, ces femmes illustrent des aspects de la vie quotidienne : rassemblement, comment chasser et préparer la nourriture dans le bush, comment agir lorsqu'un parent décède. Elles narrent aussi les faits et gestes des chasseurs, des membres de la famille, des ancêtres et les agissements d’esprits ou d’entités. Cette forme de transmission combine le verbal et le non-verbal et la main trace directement dans le sable ou avec l’aide d’un bâton les symboles nécessaires à l’instruction des enfants de la tribu.
Les hommes pratiquent également des sculptures de sable. Certains clans de la terre D'Arnhem, (Australie septentrionale) recréent sur le sol une fontaine ou une mare symbolique pour que les membres du clan et proches d’un défunt puissent se purifier. Des sculptures de sable sont également réalisées au cours des cérémonies funéraires. Lorsque ces tracés ne sont pas géométriques (cercles concentriques, lignes parallèles), ils représentent des divinités ancestrales ou des animaux (kangourou ou émeu) (2).
- (1) Christine Watson, Re-embodying sand drawing and re-evaluating the status of the camp: The practice and iconography of women’s public sand drawing in Balgo,W.A, The Australian Journal of Anthropology, 1997, vol. 8, n°1 pages 104-124.
- (2) Ian Keen, Aboriginal sand sculptures, papier présenté à l’université de Canberra en 1977.
Les dessins sur le sable du Vanuatu
L’archipel du Vanuatu se situe dans le pacifique du Sud-Ouest à l’est de l’Australie et au nord-est de la Nouvelle-Calédonie. Parmi les traditions, il en est une particulièrement intéressante qui consiste à tracer sur le sable des motifs géométriques que l’on peut rapprocher de ceux de l’Afrique et plus particulièrement de l’Angola. Parmi les traditions, il en est une particulièrement intéressante qui consiste à tracer sur le sable des motifs géométriques liés au monde du sacré, aux héros fondateurs ou aux grands défunts. Plus simplement, ils évoquent des éléments du monde animal et de la nature, des objets tels des pirogues, des plats, des arcs ou des massues.
- (1) Jean-Pierre Cabane, Ululan, les sables de la mémoire, Editions Grain de Sable, 1997.