Mandana du Rajasthan, "Peindre le sol et décorer la maison" — partie 6
La déesse est également invoquée par des mandana singuliers appelés paglya, littéralement « empreinte de pieds ». Dessinés à l’extérieur de la maison sur la véranda et autour du mandana principal, ils incitent la déesse à venir jusqu’au foyer et à prodiguer ses bénédictions sur la famille.
Dans les peintures au sol du Rajasthan, la plupart des motifs d'êtres vivants prennent vie sur les murs de la maison, à l'exception des représentations symboliques des empreintes de pied de la déesse Lakshmi, appelées paglya et des empreintes de sabots de vache qui sont dessinées sur le sol à l'intérieur et à l'extérieur de la maison et autour du mandana principal pour accueillir la déesse et bénir les membres de la famille.
Paglya, représenter les pieds divins
La représentation et la vénération des pieds des divinités, des maîtres spirituels ou des aînés est un geste profondément ancré dans la culture indienne. Dans les temples ou à la maison, lorsqu'il n'y a pas d'image de la divinité, on trouve des empreintes de pied sculptées dans le bois ou la pierre, incisées sur des plaques votives, fondues dans le métal ou le plastique ou peintes sur du papier. L'intérieur de l'empreinte est soit vide, soit accompagné des attributs de la divinité. Dans le cas du dieu Vishnou, une conque, un disque, une massue et un lotus figurent sur l'empreinte. Pour Bouddha, l'empreinte révèle le plus souvent un Dharmachakra gravé (Roue de la Loi) ; un symbole commun à l'hindouisme, au jaïnisme et au bouddhisme. Dans certains sanctuaires, on peut trouver les sandales usagées d'un maître spirituel ou d'un ascète vénéré. Lorsqu'on les interroge sur ce rituel, les dévots font souvent référence à un chapitre de l'épopée du Ramayana où le prince Rama, remplacé par son frère Bharata, est envoyé en exil. Bharata, bouleversé par cette décision, refuse d'être couronné à la place de Rama et le supplie de revenir à Ayodhya. Rama répond qu'il ne reviendra qu'après avoir accompli les quatorze années d'exil. Bharata retourne donc à Ayodhya avec les sandales de son frère et les place sur le trône pour signifier sa présence.
Lors de certaines fêtes, comme Diwali ou l'anniversaire du dieu Krishna en Inde du Sud, l'allée menant au seuil d'une maison ou à l'autel domestique est jalonnée de représentations stylisées d'empreintes de pieds. Dessinés à l’extérieur de la maison sur la véranda et autour du mandana principal, les pieds invitent la déesse à venir jusqu’au cœur du foyer et à prodiguer ses bénédictions sur les membres de la famille. Des pieds peints occupent également le centre d'une peinture au sol ou sont dessinés comme s'ils étaient en mouvement, indiquant le chemin de la maison ou de l'autel familial pour y inviter la prospérité.
Les motifs de paglya les plus stylisés sont des graphes ayant la forme d’un Z et dont l’angle inférieur est arrondi pour indiquer le talon. D’autres paglya montrent une paire de deux triangles équilatéraux reliée par le sommet. Des deux triangles opposés, l’un est de plus petite taille pour signifier l'arrière-pied et l’autre à la base plus large et marquée de cinq points, symbolisent l’avant du pied et ses orteils.
Lors de la fête de Diwali, une simple empreinte de pieds se transforme en une œuvre d'art élaborée combinant des éléments géométriques divers, reliés, tressés, imbriqués à la manière des entrelacs ou d’une vannerie. Les empreintes incorporent également divers motifs et symboles, comme s'il s'agissait de fournir un écrin protecteur aux pieds de la déesse Lakshmi, ou peut-être de célébrer sa grandeur en tant que protectrice du foyer.
Chotta mandana, les petits mandana
Puis il y a les motifs, comme une myriade de micro-satellites qui remplissent l'espace autour du mandana central ou égayent de leur présence un coin d'une pièce jusque-là banale. Il y a aussi ceux qui incarnent des symboles comme l'épi de millet (bharadi), les sabots des vaches, les oiseaux, les lampes à huile, les encriers ou les plumes pour symboliser les comptes annuels, les balances et les poids pour accroître le commerce. D'autres motifs reflètent l'hospitalité sous la forme de sucreries (laddu, jalebi) et d'un pot de vermillon (sindhur).
Décorer avec de la boue, des miroirs et des galettes de bouse séchée
D'autres surprises ravissent le regard lorsqu'on entre dans une maison Meena. Quel sentiment de joie devant le talent exceptionnel de ces femmes qui créent un cadre de vie merveilleux et unique. C'est une expérience immersive, sensible, qui reflète les racines de cette communauté agraire ; les femmes transforment les galettes de bouse de vache en œuvre d'art, façonnent des étagères et des armoires avec de la glaise et sculptent en relief des divinités et des objets de la vie quotidienne sur les murs à l'intérieur de la maison.
En me promenant dans les ruelles d'un village Meena, mon regard se pose sur une guirlande florale composée de miroirs taillés et enchâssés dans l'encadrement de la porte d'une maison. À l'intérieur également, une niche dans le mur est habillée d'une frise simple et élégante composée de petits miroirs et de quatre disques compacts à la surface chatoyante. Ces ornements domestiques ne sont pas sans rappeler la salle d'audience féerique de l'Amer Palace près de Jaipur, qui est constellée de miroirs découpés.
Les peintures mandana en deux dimensions qui ornent la maison, du sol aux murs, prennent parfois l'aspect de fresques en relief avec des incrustations de miroirs, de paillettes, de perles, de verre coloré et racontent des histoires de divinités ou des scènes de la vie quotidienne.
Les motifs répétitifs destinés à remplir un mandana au bas d'un mur se transforment en figures tridimensionnelles pour créer des étagères ajourées appelées kangura avec des niches pour ranger les objets du quotidien.
Les galettes de bouse de vache sont largement utilisées comme combustible de cuisson dans de nombreuses régions de l'Inde. Les femmes Meena ramassent la bouse de vache, de taureau ou de buffle et la mélangent à de la paille pour former une galette qui est collée aux murs, aux troncs d'arbre ou parfois posées sur le sol pour sécher. Pour stocker le précieux combustible pendant la saison des pluies à proximité des habitations, on empile les bouses en colonnes bien serrées puis on érige autour de celles-ci, des murs de glaise que l'on enduit d’un mélange de bouse fraîche et de paille, un toit végétal et une ouverture pour sortir les galettes au fur et à mesure. Pour finir, la structure appelée piraunda est décorée de motifs faits à la main.
Histoire à suivre…
Articles précédents :
Mandana du Rajasthan, "Jodhpur, la quête commence"— partie 1
Mandana du Rajasthan, "Lakshmi dessine pour Diwali" — partie 2
Mandana du Rajasthan, "Bundi et les villages alentour" — partie 3
Mandana du Rajasthan, "Villages autour de Bundi" — partie 4
Mandana du Rajasthan, "Peindre le sol pour Diwali — partie 5